Valse hésitation

Comme d'habitude, le rassemblement s'est effectué sans problème tant l'unanimité est de rigueur : la plus bécasse des oies rieuses n'oublie pas la date du départ pour le Sud. Quant aux contestataires perpétuelles, elles attendent le moment opportun pour semer la zizanie, tout en se gardant bien de se porter candidates pour filer devant, prendre le vent en pleine poire et essuyer les critiques inévitables . Non, il est bien plus aisé de se tenir à l'abri et papoter en toute quiétude.

A l'instar de tout groupe constitué, il y a parmi elles, les veuves inconsolables ou joyeuses, les prétendantes au bonnet de catherinette, les délaissées pour leur morosité, les inévitables dragueuses , voire nymphomanes. Bref, dans un groupe d'oies rieuses en migration, il y a de quoi alimenter la conversation pendant des heures et des milliers de kilomètres.

Et le sexe fort ? En nombre restreint, les jars n'ont pas de difficultés à se caser dès leur prime jeunesse. Sachant leur tendance à la monogamie, leur débauchage n'a rien d'une sinécure ! La chanceuse accouplée à un de ces messieurs le surveille sans relâche : sait-on jamais , avec toutes ces esseulées à la recherche de la bonne occasion? Notamment, pendant le grand voyage où les occasions sont foison.

Le C.A. (Conseil des Anciennes) , chargé de diriger le V dans le bon sens à tour de rôle, prenant en considération les risques de discorde, et par là même, d'égarement sur la route à suivre, s'est, cette année encore, montré particulièrement strict: aucun écart ne sera toléré. La conversation entre migrants de sexe différent est interdite, sauf à l'intérieur du couple, cela va de soi.

Mais cette année, la gaudriole n'a pas les faveurs des rieuses gagnées à l'idée du tourisme. Apercevant Rocamadour, Ségondène qui est en tête du tgV, infléchit insensiblement sa course vers l'Est.

- Hé! Agen , c'est plus à gauche , s'exclame Liviane, la Présidente en titre du CA.

- N'écoute pas la vieille! susurre Archibald le beau jars, survolons le Causse et direction Millau . Qu'on le voit enfin, ce viaduc !

- Je te vois venir, écervelée irresponsable, tu veux bouleverser nos traditions, proteste Bernachette l'ancienne.

- Tais-toi, radoteuse ! Surveille plutôt ton Jacquot qui fait du gringue à Marine .

- Ohé les filles ! N'oubliez pas le concert de demain soir sur Pau , on s'est engagées auprès de Cassy, rappelle Carlotta , la seule rieuse capable de chanter a capella.

- Écoutez - la, l'autre sainte nitouche à toujours vouloir jouer les vedettes avec sa voix de fausset. Ah ! Il est bien accouplé le petit Nicodéon, cancane en aparté la fielleuse Cécinia.

- Tais-toi donc, jalouse ! Moi, Mandine, je soutiens la revendication des oies rieuses, et en qualité de responsable d'un parti représentatif, je demande au CA de reconsidérer sa position en acceptant le détour par l'Aveyron.

- Ça m'aurait bien étonné qu'elle ne mette pas son grain de sel, la donneuse de leçons ! Alors, qu'est-ce qu'on fait ? interroge Nicodéon .

- T'as qu'à faire danser la troupe au son de ton bandonéon pendant qu'on planche sur une adaptation de notre itinéraire, concède Liviane, en Présidente avisée.

Voilà donc la motivation de cette valse hésitation du peuple rieur dans le ciel limousino-quercynois.

Il va sans dire que le son du bandonéon est couvert par les criailleries des oies rieuses s'adonnant au bruyant bavardage qui est leur plaisir favori.

Soyez rassurés : les oies rieuses parviendront au but qu'elles se sont fixées et il y a gros à parier qu'elles feront le chemin en sens inverse l'an prochain, non sans s'accorder un petit détour sur quelque curiosité...

Ecoutez les causer...

http://alain.balthazard.chez-alice.fr/chants%20et%20cris/chants.htm

Ça commence sobrement, un développement tournant à la satyre pour arriver dans ces dialogues de jeux de mots.
C'est absolument GÉNIAL et je me délecte sans hésitation de cette valse.

Ah Catsoniou, j'aime toujours autant ton écriture, un vrai régal de lire ton texte et tes observations toujours aussi fines

L'avantage d'être devant est aussi d pouvoir arroser celles et ceux qui sont derrières et pas seulement avec de l'eau ou des plumes

Merci pour le lien, ça faisait longtemps que je n'avait pas entendu autre chose que des pies

Merci d'avoir pris le temps d'écouter mes oies ...

Et, allez, petite anecdote véridique sur les oies dites domestiques . Nous en élevions six chaque année (ça vous évite de passer la tondeuse et à la Noël, c'est bien bon . Parmi le lot d'il y a trois ans, une d'entre elles était nettement plus petite (3 kg à sept mois) . Se sentant des ailes, si je peux me permettre ce jeu de mots, elle s'élançait du haut du parc et en bas, elle volait à un mètre de haut, pendant que pour cause de derrière trop lourd, ses copines arrivaient à peine à décoller du sol.
Un jour, en novembre, le matin, je longeais le parc quand j'entendis des criaillements au dessus de moi. Levant la tête, je l'aperçus à une quinzaine de mètres de haut qui décrivait un arc de cercle majestueux autour des bâtiments pour atterrir à 50 mètres de son parc. Sans encombre, elle se laissa guider jusqu'à son lieu d'hébergement .
Atavisme sans doute , instinct de migration ? Elle ne sut point me le dire ou plus simplement, je n'arrivais pas à décrypter le message .

Ah bon, Catsoniou ? Tu ne parles pas le langage des oies ??? Si j'en crois ton comm'...
Par contre si j'en crois ton texte tu arrives bien à les décrypter...
Je me pose donc la question : ces oies qui portent de si doux prénoms et se comportent comme certains humains, ne seraient donc que des mutantes ???

à la lecture et bravo pour l'itinéraire !