Il se retourne dans sa tombe…
Je suis en séjour dans le Lubéron et je m’arrête aujourd’hui à la dernière étape de ma visite à Lourmarin. Cet ancien village de Vaudois, peuplé de mille habitants, entouré de vignes et d’oliviers, est situé au bas d’une colline. Les maisons sont la plupart de construction en pierre d’un cachet provençal. Le soleil y est souvent présent. Un paradis de calme qui change du bruit des villes. Je savoure cet endroit de fantasme. Je voudrais y rester, ne plus partir. Hélas le temps est compté, les vacances sont bientôt terminées. Toutefois, je profite encore des moments qui restent pour musarder dans le coin.
Trois livres dans mes affaires m’accompagnent :
Variété I de P. Valéry,
Beauregard de Cassy,
L’étranger de A. Camus,
Les deux premiers cités, je les ai déjà lus, pas le dernier.
En fin de l’après-midi je découvre le cimetière de Lourmarin. C’est là que repose justement Albert Camus. Je vais m’y incliner et essayer d’entrer en conversation avec lui, car il ne me semble pas qu’il se repose vraiment…
Je l’entends dire :
« Mondovi où je suis né,
Alger,
Chambon sur Lignon,
Bougival,
Lourmarin où j’ai acquis ma maison grâce à mon prix Nobel,
Villeblevin où j’ai suis mort avec mon ami Michel Gallimard,
Lourmarin dans le cimetière,
Le Panthéon ?
Panthéon ? Quoi ? Panthéon ! Panthéon ! Entendre ce mot pendant mon repos éternel. Je me retourne dans ma tombe. Panthéon !
J’ai ouï dire de la capitale qu’un Président de la République, qui se nomme Sarko si je ne m’abuse (c’était le Général de Gaulle à mon époque), veut me transférer à Paris. »
Je suis très attentif à son écoute et je lui réponds :
- Oui ils veulent vous faire un grand honneur Maître, c’est un grand hommage n’est-ce pas ?
- C’est absurde, s’écrie-t-il.
- Vous savez, Maître, j’ai honte de vous dire que je n’ai pas encore lu un seul de vos livres, mais je sais qu’on parle souvent de vous avec le mot absurde.
Il ne répond pas, je suis soudainement intimidé.
Je voudrais quitter les lieux en courant, je n’ose pas et je me sens mal ici.
Enfin il reprend :
- Le président Sarko, il est comment ?
- Je ne le connais pas vraiment Maître…
- Arrêtez de m’appeler Maître ! Tonne-t-il d’un ton ferme.
- Oui Maî… Oui bon... je consens à votre demande. Je vous disais que je ne le connais pas vraiment ce président, car je suis suisse, cependant je remarque qu’il n’est pas apprécié de tous.
- J’aimerais savoir s’il est de droite ou de gauche ?
- Je peux vous dire qu’il est de droite.
- J’ai bien pensé.
- Pas du genre pour le social.
- Ah oui je vois, pas social, ça veut dire pour moi que les pauvres, ce n’est pas une importance primordiale pour lui.
- Comme dans mon pays, les banques sont plus intéressées par le profit que par ceux qui sont dans le besoin.
Il raconte comment il a ressenti ses activités passées :
- Lors de la crise algérienne, quand je dénonçais l'injustice faite aux Algériens et que je demandais la fin du système colonialiste les rendant inférieurs, je n’ai pas été écouté, même si je ne voulais pas l’indépendance de l’Algérie. Je ne sais pas si Sarko m’aurait à cette époque entendu.
Il ne m’aurait sûrement pas soutenu non plus quand j’avais proposé la troisième voie consistant à intégrer davantage les Français Musulmans dans la République. Il est comme De Gaulle à l’époque.
Et surtout se serait-il fait beaucoup de soucis des pauvres comme l’était ma famille en Algérie ?
- Je commence à comprendre. En fait vous voudriez rester ici dans cette si belle région.
- Oui et ça me rappelle mes racines algériennes.
Ma curiosité se développe :
- Vous ne l’aimiez pas De Gaulle ?
- Non, pas du tout. En plus il y est pour quelque chose que mes relations avec Pascal Pia se sont rompus, car je n’étais pas gaulliste, lui oui.
- Je ne le connais pas.
- Il était aussi un écrivain et un journaliste.
- Et François Mauriac vous le connaissiez aussi ? Car pareillement à vous, j’en ai entendu parler de lui pendant mes études.
- Oui, nous n’étions pas du même avis, cependant, j’ai du avouer qu’il avait raison.
Et il continue à s’apitoyer :
- Je suis un des rares journalistes qui ait parlé de la bombe d’Hiroshima au moment des faits, là aussi on m’a fait la sourde oreille.
Profitant d’un moment de silence j’observe les environs et je découvre la tombe de Madame Albert Camus née Francine Faure.
- Si je comprends bien, c’est votre épouse qui repose auprès de vous.
- Oui.
Ma vision devient plus claire dans ce débat ce qui me permet d’enchaîner :
- Je saisis là que vous ne devez pas partir.
- Non et je ne le veux pas !
Après un moment d’apaisement, il reprend :
- Rendez-vous compte, partir d’ici juste pour le prestige d’un président, c’est absurde. Et ce n’est pas à ma mort en 1960, que Sarko m’aurait mis au Panthéon. Il prépare sa prochaine élection, comme tous les politiciens l’ont toujours fait en France.
- Vous savez, ce n’est pas mieux en Suisse, on fait le beau pour être élu.
- Je sais aussi que mon fils Jean ne veut pas que j’aille au Panthéon et ma pauvre fille Catherine le souhaite sans vraiment savoir si c’est bien. C’est ça la politique française, faire douter les gens. C’est absurde.
Le nuit tombante, je m’apprête à prendre congé :
- Je vous ai compris, et je ne le dis pas comme de Gaulle à Alger, je suis sincère avec vous. Vous resterez ici, et je viendrai vous rendre visite à vous deux dans ce magnifique endroit de rêve. Je m’en vais de ce pas, aller au logis de vacances pour m’étendre et lire L’étranger avant de repartir dans mon pays.
- Alors bonne lecture.
- Merci et à bientôt.
Pourtant au plus profond de moi, je ne suis pas rassuré et je crains que si je reviens, seule son épouse sera encore là… Délaissée. Je sens trop d’intérêts en jeu chez un politicien, peut-être même plusieurs… Ici ou ailleurs partout la même pratique dans l’absurdité.