Elle était juste bien. Blottie au creux de son épaule, la tête avachie sur son bras. Il lui caressait les cheveux. Il aimait jouer avec cette petite mèche plus claire que les autres. C'était sa marque de fabrique. Son petit truc à elle. Il avait l'impression de la posséder comme ça.
Il avait le bras engourdie mais il savait qu'elle allait s'endormir d'une minute à l'autre. Déjà son visage se faisait plus lourd contre son torse. Il attendit que sa respiration soit complètement régulière et lentement, la fit basculer de l'autre côté du lit et admira un instant son dos nu.
Lorsqu'il était jeune, il ne s'imaginait pas vivre un jour un sentiment aussi intense. Il avait cru que son cœur s'était asséché d'une enfance monotone et d'une adolescence dévastatrice parsemé de drames aussi cataclysmiques les uns que les autres.
Il chassa les idées qui s'insinuaient dans son esprit et se leva. Il enfila un caleçon et s'enferma dans la salle de bain. Lentement sous la douche brulante, les gestes et l'attitude du passé refaisaient surface. Cette carapace qu'elle avait su désamorcer patiemment morceau par morceau, était en train de reprendre la place de jadis. Lorsqu'il revint dans le salon, son visage était transformé. Durci.
Il n'avait pas le choix. Il le savait. Il termina de se rhabiller et ouvrit le placard. Derrière la cloison intérieur, il sortit un grand sac de sport. Comme il était facile de dissimuler une vie quand celle-ci pourrait tenir dans un sac à main. Il y glissa le petit album.
Un medley de petites images de bonheur éparses. Petits cadeaux de vie qu'ils s'étaient offerts. Son visage ne marquait aucune émotion mais son cœur bouillonnait dans ce carcan de pierre.
Les gestes n'avaient pas pris une ride. Précis comme autre fois. Pas même un frisson au contact du métal froid. Il regarda une dernière fois la photographie de cet interlude puis l'enfouit au fond sous ses vieux jeans.
Il le savait. Il passerait pour le salaud. Ça ne le dérangeais pas. C'était confortable d'être le salaud. On ne vous demande aucune justification puisque c'est dans votre nature de faire le mal. Et puis il le savait. On ne pleure pas un salaud. On cicatrice du mal qu'il nous a fait. C'est comme enlever très vite un scotch sur des poils. Ça fait très mal tout de suite mais on guérit plus vite.
De toute manière, il était coincé. Cela faisait une semaine qu'il était filé, qu'il sentait l'étau se refermer tout doucement. Peut-être même avait-il été mis sur écoute. Il n'avait plus d'issue s'il ne voulait pas la mettre en danger.
Un léger bruit s'échappa de la chambre. Avec sérénité, il entrouvrit la porte. Cette manie de parler la nuit. Le silence nocturne allait lui peser maintenant. Un dernier moment de douceur traversa sa prunelle puis s'éteint. Il referma la porte et s'en alla sans se retourner, les épaules lourdes.