« Tu sais, ce n’est pas parce que j’ai peur de l’enfer que je suis gentille hein, dit-elle en l’embrassant délicatement sur la joue. Elle s’écarte en souriant doucement et se met à marcher dans la pièce.
- Ah oui ? Et pourquoi alors, tant de délicatesse ?
- Eh bien, parce que tu me tiens compagnie, à moi, enfermée dans cette chambre ! Si tu n’étais pas là, je pense que je m’ennuierai beaucoup !
- Mais ma pauvre chérie, tu n’es pas seulement bloquée dans ta chambre, mais aussi dans ta tête. C’est là que tu es enfermée.
- Pourquoi tu me dis des choses si méchantes ?! S’écrie-t-elle. Je ne suis pas méchante avec toi ! Et pourtant, tu m’as laissé tomber plus d’une fois !
- Et je n’avais pas le choix ! Ouvre les yeux enfin ! Tu sais très bien ce que tu fais ici, la raison pour laquelle ils t’ont emmenée ici. Réveille-toi !
- Arrête ! Arrête ! Arrête ! Tais-toi ! »
Elle se met les mains sur les oreilles, secoue sa tête de gauche à droite pour nier l’évidence. Les larmes commencent à poindre aux coins de ses yeux pâles.
« Regarde-toi, tu as une mine affreuse, cadavérique. Je suis venu te voir mais je le regrette maintenant. Non tu n’es pas gentille ! Si tu l’étais vraiment, tu sortirais d’ici, tu reprendrais ta vie, tu ne te laisserais pas enfermer. Tu es maigre, ton regard est vide ! Pourquoi t’es-tu laissée aller ainsi ? Tu te laisses mourir ! Tu me dégoûtes ! »
Elle ne répond pas. Elle s’appuie contre le mur et commence à glisser pour finir accroupie, recroquevillée sur elle-même, les mains autour de ses genoux. On entend des sanglots résonner dans la chambre vide. Le soleil a entamé sa course vers l’horizon et décline pour bientôt disparaître. Il fait sombre.
Soudain, elle se laisse choir sur le côté, allongée en boule contre le mur et reprend la parole.
« Je suis seule ici, c’est l’enfer depuis que tu es parti. J’ai tenté toutes les gentillesses du monde pour te faire revenir mais pour toi, l’enfer vaut mieux que moi. Je t’en supplie, ne pars plus, reste avec moi. Ou laisse-moi venir avec toi. »
***
« Nous l’avons retrouvée à terre, recroquevillée. Elle n’a pas souffert selon les médecins. »
L’homme qui marche à côté sanglote et réussit à demander :
« Elle n’a rien dit avant… avant… de partir ?
- Les infirmières présentes hier m’ont dit qu’elles l’avaient entendue parler toute l’après-midi. Vous m’avez dit qu’elle avait perdu son frère jumeau il y a cinq ans ?
- Oui… C’est à partir de là que tout s’est dégradé… Son comportement a changé… Un mois après, on m’annonçait qu’elle était schizophrène…
- Elle parlait à un homme, lui reprochant son départ, elle voulait qu’il reste, elle voulait partir avec lui. »
Il n’a pas la force d’en dire plus.
Ils arrivent devant la porte entrouverte de la chambre. L’infirmière le laisse passer. Il hésite un moment et s’avance vers sa fille, inerte.