Ce matin-là, mon cousin, alors âgé d’une dizaine d’années, arriva dans la cuisine avec des airs de conspirateurs. Il était accompagné du flot de musique un rien discordante, qu’il affectionnait. Il posa son transistor sur la table et, avant d’avaler son Banania quotidien, il me fit un clin d’œil, signe convenu entre nous pour annoncer une très importante découverte…
Comme je l’interrogeais du regard, il me fit signe de me taire car ma tante entrait dans la cuisine. «Tu ne pourrais pas déjeuner tranquillement sans ta satanée musique pour une fois ? » et mon oncle d’ajouter : « Ta mère à raison, éteins-moi ça ! »
Avec des airs de martyrs, mon cousin s’exécuta.
Un bol de chocolat et quelques tartines ruisselantes de confitures plus tard, nous nous retrouvions dans la cour et je le pressai de questions. Il se mit à rire et me dit avec des airs sous-entendus :
« Ce matin, j’ai entendu une chanson… Enfin, je l’avais déjà entendue… Plusieurs fois… » Il marqua une pause.
« Pas la peine de me le dire, j’ai entendu ton poste dès mon réveil !
—Oui, mais c’est une chanson un peu… Enfin, elle raconte l’histoire d’une fille qui trouve un petit chat…
—Oui ?
—Et comme le chat a faim, elle lui donne à téter…
—Et alors ?
—Mais pas avec un biberon comme maman, l’autre jour avec le chevreau de Biquette, dit-il d’un air impatient…
—????????????????
—Elle le fait téter avec ses né… avec sa poi… avec ses seins quoi !
—T’es bête ! C’est pas possible !
—Dans la chanson si ! Et même que tous les gars viennent voir. Tu te rends comptes ? Et la fille, cette bécasse, elle croit que c’est pour voir le chat…
—Pas toi ?
—Tu me prends pour une andouille ? »
Nous éclatâmes de rire et mon cousin se mit à fredonner le refrain de la chanson, qui, je l’apprendrai plus tard, avait pour titre « Brave Margot ».
Il avait dû l’entendre plusieurs fois mais n’en avait retenu que le refrain dont les paroles, pas faciles pourtant, lui venaient sans effort soutenues par cet air enlevé que tout le monde connaît maintenant.
Quand Margot dégrafait son corsage
Pour donner la gougoutte à son chat,
Tous les gars, tous les gars du village,
Etaient là, la la la la la la...
Etaient là, la la la la la ...
Et Margot, qu'était simple et très sage,
Présumait qu' c'était pour voir son chat
Qu' tous les gars, qu' tous les gars du village,
Etaient là, la la la la la la...
Etaient là, la la la la la. ..
Bientôt je me joignais à lui et nous en étions à « la la la la la la... » quand ma tante nous interpela :
« Encore à chanter vos airs idiots ! Allez donc me chercher le pain, rendez vous utiles… »
Elle s’étonna un peu que nous partions sans rechigner et nous suivit du regard alors que nous nous éloignions en sautillant sur cet air qui convenait si bien :
la la la la la la...
la la la la la la...
Quelques jours plus tard, sans en croire nos oreilles, nous trouvâmes mon oncle en train de scier du bois dans la remise, sifflant allègrement "Brave Margot", dont il connaissait, je suis sûre, pas seulement que le refrain !