Une année pour apprendre

25 octobre,

Chère petite cousine,

Si tu voyais dans quelles conditions je t’écris, tu en rirais. Je suis dans mon lit, bien cachée sous les couvertures pour ne pas me faire remarquer. Les lumières sont éteintes, j’ai posé ma lampe de poche sur mon ventre. Pas facile d’écrire dans cette position. Ici, extinction des feux à 22h. Et la pionne passe plusieurs fois pour vérifier qu’on ne traîne pas dans la salle d’eau. Le matin, la sonnerie nous réveille à 6h45 exactement, et aussitôt après, la pionne allume toutes les lumières. On se croirait à l’armée. Je déteste cette vie. Tout est chronométré, même le temps qu’on doit passer à la cantine. J’étouffe ici, j’ai besoin d’air, de celui de l’océan. Je ne supporte plus de voir ces 4 murs autour de moi, j’ai besoin de la plage. Si j’avais le courage, je fuguerais. Mais pour aller où ?

J’aurai 16 ans dans 6 mois, tu ne crois pas qu’à 16 ans on a autre chose à faire qu’à être dans un endroit pareil ? Je suis comme en cage Carole, et je ne sais pas si je serai capable de rester 3 ans dans ce lieu horrible. Il n’y a pas un seul endroit où je peux être tranquille, toute seule. Tu vois, même pour t’écrire, je suis obligée d’attendre la nuit, dans mon lit, c’est le seul endroit où je me sens « chez moi ». Avant de m’endormir, j’imagine que je suis là-bas, au Pertuis. C’est l’été, on a passé la journée au bord de l’eau, mamie nous a préparées des moules avec des frites, et un gâteau au chocolat pour le souper. On l’a pris dans le jardin. Et maintenant on est couché, on se raconte encore des secrets. La fenêtre est ouverte et on entend les cigales. Et puis on s’endort. Voilà ce que je m’imagine quand je suis dans mon lit ici.

Pour Jean-Louis, n’y pense plus, c’est un con. Et ne te fais pas de soucis pour la boulangerie. Tu sais, même si c’est la crise, et même si elle dure, les gens viendront toujours acheter du pain. On peut se passer de viande mais pas de pain, c’est mamie qui dit ça tout le temps, et elle a raison.

Je t’embrasse cousine, à bientôt

Lucie

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Ma chère Lucie,

Je te réponds déjà parce que c’est les vacances de la Toussaint et que je m’ennuie. Je pensais qu’on allait se voir un peu chez papi et mamie mais avec les examens de mamie, maman a dit que c’était pas possible et qu’on allait trop la fatiguer. Pourtant on aurait pu l’aider. Et puis on est grande maintenant quand même.

J’ai eu beau dire à maman que ça allait te remonter le moral, rien à faire. Je crois qu’elle est inquiète pour mamie, mais si ça se trouve c’est rien du tout… mamie a trop dansé au bal et puis c’est tout. Qu’est ce que tu en penses-toi ? Quand j’en parle avec maman elle me dit qu’elle sait pas et passe à un autre sujet, c’est son truc favori pour ne pas parler de ce qui la gêne.

Je vais t’appeler juste avant de reprendre l’école pour te donner du courage. Sinon il y a un soir où j’ai demandé une lampe de poche et j’ai lu sous mon lit comme toi !!! Maman n’en a rien vu ! hihi c’est trop drôle, je n’y avais pas pensé et c’est cool parce que je suis toujours obligée de me coucher tôt pour ne pas faire de bruit parce que papa se lève tôt pour faire le pain. Mais je pense surtout que c’est pour se débarrasser de moi et être tranquille. J’suis pas débile non plus.

Vivement que j’ai 16 ans moi aussi et que je leur dise, tout ce à quoi je pense, parce que là cette année je pense tout le temps je n’arrête pas… Y’a un truc qu’a du se déclencher dans mon cerveau de moineau comme dirait papi… c’est très fatiguant de penser tout le temps et je me souviens pas de tout c’est chiant.
Et papi tu l’as vu toi pendant les vacances ? Il te semble inquiet ? Et si on se sauvait ? Où est ce qu’on pourrait aller ? Tu crois qu’elle va mourir mamie ? Comment on fera après ? Tu vois ça n’arrête pas et je peux pas les poser à maman pour ne pas lui faire de peine et papa en ce moment il est beaucoup pris parce qu’il a un arpète comme il dit, alors il faut qu’il lui apprenne.

Maman m’appelle il faut que je l’aide à la boutique… Pfff ! On est plus tranquille chez mamie ! Vivement les prochaines vacances !

Et surtout on s’appelle avant la reprise ! Au fait tu as eu des bonnes notes ? Tu vas l’avoir ton portable ou pas… ils sont vraiment vieux jeux nos parents, dans ma classe y’en a déjà plein qu’ont des portables… alors toi ma pauvre, t’es vraiment pas gâtée ! Mais tu crois vraiment qu’ils vont te laisser 3 ans en pension ? Je pense à toi tout le temps, Allez je file Lulu maman hurle d’en bas, à faire fuir les clients ! Elle est maboule !

Bisous

Caro-Carole

PS : pas de petit chéri en vue au lycée ? Tu ne me parles plus de garçons j’aimais bien quand tu me racontais tes histoires de collège… je veux des nouvelles !

Aujourd'hui, je m'imagine un tel portable sous la couverture en au lieu d'une lampe de poche et d'un papier LoL

Touchantes lettres. Y aura-t-il une suite? Ouiiiii

On attend la suite!