En consultation
Alors voilà docteur, les chiens du quartier commencent sérieusement à me poser problème. Au début tout allait bien. Chacun me considérait comme un chien ordinaire, pour ne pas dire banal, ce que d'ailleurs, personnellement, je me considère toujours être. Je n'ai rien d'exceptionnel. Comme thérapeute, vous le savez mieux que moi.
Le problème c'est que les bruits qui courent sur moi dans le quartier commencent à s'étendre dans toute la ville. Vous savez comment nous sommes, nous les chiens, chacun cherche toujours à renifler le bon ragot à colporter partout, l'os à ronger, qu'on pourra ensuite propager de niche en niche. Dans le genre, les femelles, c'est les pires, toujours à aboyer dans les rues pour faire savoir qui est en chaleur et qui est en rut.
Et ça vous pisse des fausses nouvelles aux quatre coins des jardins…
Moi, vous savez, je m'en fiche de tout ça, et d'ailleurs je ne parle pas aux cons, ça les instruit.
Et vous savez quelle est la dernière en date ? La bêtise des bêtises ?
Accrochez-vous à votre fauteuil : il paraîtrait que je ne suis pas un chien, mais un être humain ! Eh oui ! Rien que ça ! Franchement, vous m'avez bien vu lever la patte dans votre bureau ! Vous savez bien qui je suis. Dès que j'arrive, je renifle le divan, j'en fais le tour, je ne saute dessus et que si tout me semble en ordre, en particulier si je n'ai pas détecté un quelconque danger autant pour vous que pour moi.
Vous savez très bien combien il m'arrive de grogner, si par malheur vous élevez la voix durant la séance. Vous savez très bien que je préfère la douceur et pouvoir vous lécher la main.
Mais bon, face à tout cela, j'ai pris une décision. Vous me direz ce que vous en pensez. Je me suis adressé à un molosse, j'ai fait placarder sur la porte du jardin, une indication comme quoi j'étais en psychanalyse. Au moins tous les chiens du quartier le sauront. Enfin, au moins ceux qui ont appris à renifler les lettres pour comprendre.
Comme ça c'est clair. Si j'étais un humain, je n'aurais pas besoin d'une psychanalyse. Les humains sont intelligents, "ils pensent, donc ils sont", de plus ils ont une parfaite connaissance d'eux-mêmes. C'est pas comme nous les chiens qui avons besoin de rechercher notre identité, notre utilité dans le monde, le sens de la vie et de la mort, enfin, toutes ces choses, toutes ces questions fondamentales que nous ne cessons de nous poser, encore et encore. De plus, nous autres chiens, nous travaillons sans cesse, pour gagner de quoi remplir notre gamelle, nous transpirons, bouche ouverte, langue pendante, plus souvent qu'à note tour.
C'est bien quand même tout cela qui nous amène tous, vous comme moi, à avoir une vie de chien…
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