Croyez-moi, je sais maintenant quel a été le calvaire de la femme de l’Homme Invisible !
Pardon ? Vous ne me reconnaissez pas ? Mais si, souvenez-vous… c’était moi, la curieuse, l’œil rivé au trou de la serrure dans la consigne 169 ! A cette occasion j’avais découvert que mon cher mari, ce soi-disant homme d’affaires, me racontait des « craques » depuis des années. Ses affaires, particulières en vérité, touchaient le domaine du Renseignement (avec un grand R) et sa sempiternelle mission consistait à traquer inlassablement un espion international, connu sous le nom du Cobra, qui lui échappait toujours…
Il faut dire que mon mari, dont je ne puis vous révéler le véritable nom (top secret), n’est pas une lumière dans son domaine, à se demander même comment ses supérieurs ne s’en sont pas encore aperçus. De la bonne volonté, oui ! Il n’en manque pas ! De la persévérance aussi, mais poussée à une telle extrémité qu’on pourrait plutôt la qualifier d’entêtement pathologique ou d’idée fixe. Quant à la scoumoune qui le poursuit, je me demande s’il n’a pas été marabouté au cours d’une traque en Afrique.
Pour la commodité de la narration, nous l’appellerons Charles — j’aime bien "Charles" , c’est classique, ça fait sérieux… — Charles donc, est prêt à tout pour mettre la main sur le Cobra, même au péril de sa santé.
C’est ainsi qu’apprenant que le département « RECHERCHE » des services secrets, travaillant sur un procédé révolutionnaire pour améliorer l’art du camouflage, il s’était porté volontaire pour servir de cobaye. Les chimistes, véritables apprentis sorciers, planchaient sur l’INVISIBILITE !
Ils avaient réussi mettre au point un produit qui, sous une certaine lumière et un certain angle de vue, permettait de devenir invisible ! Et cela marchait… sur les rats… Il suffisait de diluer le produit dans de l’eau et de tremper l’animal dans ce bain d’un nouveau genre.
Charles avait tellement insisté, faisant valoir qu’il avait eu connaissance de la dernière localisation du Cobra et que l’occasion était belle de le coincer, que les responsables du projet avaient accepté de lui donner une certaine quantité du produit, qu’il avait aussitôt versé dans la baignoire avant de s’y plonger vêtu de ses seuls sous-vêtements.
Résultat concluant et je ne vous raconterai pas la frayeur que j’ai eue quand Charles a testé sur moi l’effet produit !
Quand je suis sortie de mon évanouissement, il m’a fallu un certain temps pour accepter les explications données par une voix qui venait de nulle part. Pour me convaincre, Charles a mis son chapeau (qu’il ne portait évidemment pas dans la baignoire). Voir ce couvre-chef flotter à un mètre soixante quinze du sol a failli me faire retomber dans les pommes, mais je me suis rapidement reprise et ai fini par accepter l’inacceptable…
Charles est parti en mission. Bien sur, elle a échoué. Il n’a pas attrapé le Cobra et maintenant il est persuadé que ce dernier a eu connaissance de la découverte, grâce à des espions infiltrés au sein du service RECHERCHE, et qu’il a lui-même utilisé le produit pour lui échapper…
Cela m’étonnerait. Le Cobra est bien trop intelligent pour se lancer dans une affaire sans en peser les conséquences. Car des conséquences il y en a ! Ce que les scientifiques avaient oublié de préciser à Charles c’est que les rats ne retrouvaient leurs propriétés normales qu’au bout de… plusieurs mois : le produit qui procurait l’in-vi-si-bi-li-té possédait une certaine in-dé-lé-bi-li-té !
Charles a passé des heures sous la douche, il a essayé tous les détergents connus, mais peine perdue, il demeure invisible…
Il a bien essayé de s’habiller, mais c’est encore pire, ces vêtements qui déambulent sans avoir manifestement de corps à l’intérieur ; la voisine qu’il a croisée sur le palier a fait un arrêt cardiaque et, maintenant qu’elle va mieux, les médecins parlent de l’envoyer en hôpital psychiatrique car elle répète sans cesse : « l’Homme Invisible, l’Homme Invisible ! »
Quant à moi, je déprime, je n’arrive pas à m’habituer à prendre mon petit déjeuner en tête à tête avec le journal du matin. Pourtant je dois le supporter… Pour combien de temps encore ? Je l’ignore, mais comme je le disais au début «Je sais maintenant quel a été le calvaire de la femme de l’Homme Invisible ! »