La chapelle d’un trafiquant
Samedi 3 décembre.19 h. La vieille horloge de la collégiale St Martin égrène pesamment ses sept coups avant de s’interrompre, essoufflée.
Depuis la tombée de la nuit, un brouillard glauque s’est abattu sur la ville, encapuchonnant d’un halo mouvant les réverbères et faisant frissonner les rares passants qui se hâtent de profiter des magasins encore ouverts.
La rue St Eloi en plein milieu du quartier de la Boule d’Or n’échappe pas à la tristesse diffuse qui recouvre la ville. Bien au contraire. La faute à un luminaire municipal plutôt chétif qui laisse à peine entrevoir des trottoirs déserts suant l’ennui, un square aux grilles rouillées dans lequel rôde un chien famélique à la recherche de quelque improbable pitance…
Une ombre rapide glisse pourtant silencieusement le long des murs.
Momo, le fils d’un locataire d’un immeuble voisin qui fume sa Gauloise, dissimulé dans l’embrasure d’une porte cochère, n’a pourtant aucun mal à reconnaître la silhouette qui vient de le dépasser. Ses yeux de chat, accoutumés aux errances nocturnes, ont identifié M. Joseph bien sûr, dont le costume noir disparaît ce soir sous un ample pardessus de la même couleur. L’arrivant marque un temps d’arrêt afin de remonter frileusement le col de son vêtement. Quelques dizaines de pas encore et le voici qui s’engouffre dans le corridor du n° 34.
Momo, l’intrépide, l’aurait bien pris en filature comme il le voit faire dans les films en noir et blanc des années 50. Mais quelque chose d’inexplicable le retient. Comme la plupart des habitants de ce quartier, il éprouve un malaise indéfinissable dès qu’il est question de M. Joseph.
Non que ce dernier ait déjà commis quelque délit ou incivilité, par ailleurs fréquents dans cette partie de la ville. En fait, c’est l’inverse qui se produit. C’est sa vie lisse, silencieuse et mystérieuse qui interpelle les gens.
Sans parler des rebuffades, glacées comme des giboulées de mars, qu’ont essuyées les rares personnes qui se sont montrées un peu trop curieuses à son égard….