Galang, Cahyo, Bagus et Anselme

Seuls le vent et le sable savaient où ils allaient...

Non : ils avaient une destination précise que laissait deviner leur détermination à dévaler une pente semée d'embuches. Dans leurs sacs de jute, les racines de manioc patiemment arrachées seraient bientôt traitées par une armada de femmes. Elles éplucheraient les tubercules qui seraient ensuite soigneusement râpés. La pulpe ainsi obtenue franchirait ensuite le stade du rouissage. La fermentation permettrait d'extraire la manihotoxine du manioc avant sa transformation en gari, le tapioca.

Peut-être le contenu des sacs de jute finirait-il en gratin au tapioca agrémenté de pommes, cerises et autre miel. Un produit particulièrement prisé par Anselme Gary, jeune trader richissime, à qui cirait les pompes avec ostentation tout un petit monde de subordonnés. Anselme, charmé de voir transporté un des ingrédients essentiels de son mets favori à dos d'homme dans de si pénibles conditions... Enfin, si le sort de celles et ceux qui œuvraient à son confort l'eut préoccupé un seul instant !

Descendus des terrasses de Tumpang sur l'île de Java où ils cultivaient le manioc dont ils ne consommeraient que les racines rongées ou altérées, Bagus, Cahyo et Galang espéraient qu'au bout de leur périple, ils percevraient quelque rupiahs qui permettraient à leurs familles de vivre chichement, ou plus prosaïquement survivre. Et encore, devaient-ils remercier Allah d'avoir pesé sur les éléments, assurant ainsi les conditions d'une bonne récolte !

Ce n'était pas seulement des milliers de kilomètres qui séparaient les trois Indonésiens et Anselme Gary, l'éternel blasé par des plaisirs dont il ne savait même plus apprécier la saveur. Un monde séparait les porteurs de sacs de manioc du trader pianotant sur son clavier pour en extraire de confortables dividendes qui mettraient sur la paille des milliers de familles en Indonésie, Afrique ou Amérique du Sud... et même dans les pays dits développés !

Cependant, l'exercice périlleux et éreintant de Bagus, Cahyo et Galang pourrait se poursuivre en toute sérénité : l'impossible culture en terrasses de Tumpang n'était pas menacée par l'expropriation du sol par les grands groupes agroalimentaires occidentaux pour y cultiver du soja OGM ou autre plante miraculeuse apte à fournir l'éthanol dont, au nom de son louable souci de l'écologie, Anselme Gary alimentait le réservoir de son cabriolet. Un véhicule au prix hors d'atteinte des porteurs de manioc. A moins que Allah ne les condamne à transporter leurs sacs de jute pendant des milliers d'années... D'ailleurs que feraient-ils d'une belle voiture, eux qui devaient serpenter sur ces sentiers de chèvres ?

Grâce à une écriture précise et à une documentation fouillée, on prend toute la mesure du fossé qui existe entre les zones dites "du quart monde" et nos pays occidentaux. A eux les travaux éreintants, la déforestation, les pesticides à outrance... A nous les dollars ou euros de leur travail et la dégustation sans peine, le tout pimenté d'insouciance voire de condescendance ou d'aveuglement imbécile...
Ce n'est pas un phénomène nouveau mais c'est toujours aussi révoltant !
C'est à peu de chose près ce que j'ai ressenti quand j'ai écrit mon texte sur les paysans du Dolpo...

D'accord avec Jean-Pierre !
Catsoniou, militant dans l'âme comme tu es, je trouve extraordinaire que très souvent à partir d'une simple photo, tu arrives à pousser un appel à la solidarité
Et je te pour tes recherches !

Pas mieux qu'Amanda et Jean-Pierre, tout en ayant du mal à commenter. Je crois que j'aurais envie que tu te lâches un peu plus... Un peu plus dans la poésie de l'instant .
Essayer de tenter une autre approche peut être, que celle-ci. Je ne sais pas exactement comment l'exprimer d'ailleurs.
Tu maîtrises trop peut être et tu dévoiles peu de toi au final

Une belle voiture ne leur servirait probablement pas en effet...ce qu'il leur faudrait, c'est un bon téléphérique !

Et tu as su intégrer l'incipit alors que tu voulais en dire exactement le contraire...Bravo !

Admin écrit :

Citation :

Un peu plus dans la poésie de l'instant .
Essayer de tenter une autre approche peut être, que celle-ci.

Qu'en peu de mots, les choses sont bien dites

Mais ce texte est le sentiment que m'inspire l'image...
Parce que je revis une épisode de mon enfance : suite à la vente d'une paire de boeufs livrés avec mon père à pied à cinq kilomètres de notre modeste ferme, le père est remonté à la maison avec le joug sur l'épaule ... et les billets du marchand en poche.
Parce que j'ai du mal à voir de la poésie dans cette mission impossible d'hommes acheminant sur leur dos je ne sais quelles marchandises dont ils ne tireront que quelques rupiahs...
Mais fi de la solidarité excessive : je vais peut-être (peut-être dis-je!) tenter un deuxième exercice sur le thème ...

Pour compléter ce que tu viens de dire, je ne m'étonne pas que ton écriture fut dictée par un souvenir précis, puisque c'est (sans mettre de sensations exactes dessus) ce que j'ai ressenti.
D'ailleurs tu écris souvent comment on pourrait dire? en faisant toujours appel a ce qui appartient à ton passé, ton présent, tes racines, comme si il devait toujours y avoir un but très précis à tes textes, qu'ils te ramènent à toi, à ton vécu.
Je ne dis pas que c'est mal, au contraire, j'écris moi-même la plupart du temps ainsi.
Je dis juste que j'aimerais que tu me montres AUSSI autre chose, que tu lâches la bride, que tu fasses parler tes émotions avant tout le reste, que tu plonges dans l'inconnu, comme cette photo qui pourrait t'entraîner ailleurs, dans un endroit qui n'a rien à voir avec ce que tu es...
Je ne sais pas si je me fais bien comprendre, mais j’espère que oui

Un texte militant effectivement, qui relève quasiment de l'article de journal je trouve.
Bel exercice journalistique Catsoniou.

Un texte militant en effet !
Mais on a toujours le militantisme de son histoire…

Ce qui me gêne, dans cette dimension militante, c'est que je n'ai pas le sentiment qu'il m'interpelle personnellement. Trader… Je ne le suis pas… Mais membres d'un pays riche, pour ne pas dire très riche, certainement… ( même s'il regorge en même temps de pauvreté et de précarité).
je crois que j'aurais aimé un super coup de gueule. Un vrai !
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Sinon, j'apprécie l'interpellation de Cassy.
L'intérêt d'un atelier d'écriture, c'est aussi de pouvoir varier les registres et de s'aventurer sur des terres inconnues …
Je ressens cela comme une invitation intéressante.
Et d'une certaine manière je la fais mienne. (Je veux dire pour ma propre écriture)

Citation :

le militantisme

Il est des fois où je me demande si ce n'est pas un gros mot ... et par répercussion celui qui l'est (ou qui l'a été, ce qui est mon cas) : drôle de lascar.

Maintenant, il est des choses que je ne comprends pas : faut-il écrire ce qu'on ne pense pas ? La belle écriture est-elle celle qui ne livre pas son ressenti ?
Alors là , va falloir que je retourne à l'école : mais qui voudra d'un vieux retraité au niveau scolaire relativement faible et aux idées bien arrêtées ?

Pour ma part, je n'approuve pas forcément tout ce qui est écrit ici mais je n'ai rien à y redire , enfin à quelques expressions près ( ) .

Quant au présent sujet, j'ai voulu donner un point de vue différent de ceux qui étaient déjà exprimés. Il n'était pas précisé de thème et quand madeleinedeproust écrit "exercice journalistique", cela me convient. J'avoue humblement avoir pris du plaisir tout en m'instruisant en recherchant ce qui fait la spécificité indonésienne. Sans le savoir, je précédais le commentaire d'Admin

Citation :

... plonger dans l'inconnu, comme cette photo qui pourrait t'entraîner ailleurs, dans un endroit qui n'a rien à voir avec ce que tu es...

En conclusion, mea culpa ! Mon Dieu, j'ai encore péché

Ah ! Comme j'aime la manière dont tu réagis !…
(Sauf le mea culpa qui n'a vraiment aucune raison d'être… Au contraire, ton texte est très bon, documenté, etc., là n'était pas le propos il me semble)

ce que j'apprécie beaucoup c'est ta question :

Citation :

faut-il écrire ce qu'on ne pense pas ?

Elle mérite que chacun se la pose.

Ma réponse un peu rapide serait : on n'est pas obligé d'écrire ce que l'on pense !
Je parle évidemment d'une écriture « littéraire ».
C'est même un exercice intéressant de mettre en scène (par exemple) un personnage ou une situation qui ne correspond en rien à qui on est.
(Encore que, la psychanalyse dira toujours que c'est ton inconscient qui a parlé plus ou moins… Mais c'est un autre débat !…).
Il m'arrive de mettre en scène des crapules, des assassins, des types horribles, ou plus simplement des gens à la psychologie qui n'est pas la mienne ou aux expériences que je n'aurais jamais. Ne serait-ce par exemple que de me mettre dans la peau de l'autre sexe… Enfin d'essayer !…

Peut-on approuver ou désapprouver un texte littéraire, au regard des idées qu'il véhicule ?
Je ne sais pas…
On peut désapprouver une opinion, une prise de position, des comportements, un militantisme qui va à l'encontre de nos valeurs, etc. on peut désapprouver un essai, un pamphlet, une cause défendue sous un artifice romanesque, etc.…

peut-on désapprouver un auteur qui se met dans la peau d'un violeur ? Parce qu'il y a un violeur dans son roman ?

Pour ma part, c'est en ce sens que je lis les remarques qui te sont faites.
Je les prends d'ailleurs pour moi.
Sortir de mes habitudes d'écriture. Oser d'autres manières.
Quand il m'arrive de le faire, cela m'ouvre, m'enrichit.
Ainsi je me croyais incapable d'écrire dans un style poétique.
En essayant ici, j'ai découvert que je n'étais pas nul en ce domaine…

Citation :

Pour ma part, c'est en ce sens que je lis les remarques qui te sont faites.
Je les prends d'ailleurs pour moi.
Sortir de mes habitudes d'écriture. Oser d'autres manières.
Quand il m'arrive de le faire, cela m'ouvre, m'enrichit.
Ainsi je me croyais incapable d'écrire dans un style poétique.
En essayant ici, j'ai découvert que je n'étais pas nul en ce domaine…

J'essaie moi aussi de m'appliquer les remarques que je fais aux autres textes, et ainsi, j'ai pu, moi aussi, m'essayer à la poésie et aux textes décalés, avec plus ou moins de bonheur, mais beaucoup de plaisir.
C'est pour cette raison que je me permets des commentaires un peu plus "critiques"
Tu as bien saisi mon propos Alainx

Le texte de Catsoniou est très très intéressant. Il est documenté et nous fait réfléchir, nous les lecteurs qui le lisons
Mais ce n'est pas un texte qu'on peut qualifier de "littéraire". (plutôt une chronique dans un grand quotidien....oui oui) Donc ce que je dis n'est pas négatif, je distingue juste les genres!
Un texte littéraire suppose (même si l'on part de faits réels) une envolée dans la fiction, dans l'invention, le suspense, la métaphore, l'allégorie, voire la poésie...
Je suppose que c'est ce à quoi t'appellent Admin et Alainx en te demandant de te lâcher, soit dans plus "poétique" (encore faut-il s'entendre sur ce mot) soit dans la colère face au sujet que tu traites,(toi tu en parles de manière neutre, comme une chronique, je l'ai dit...)
Voilà ce que le sujet m'isnpire

Merci de ton Comm', Coumarine.
Ayant fréquenté tes ateliers d'écriture, je retrouve ici très clairement ce vers quoi tu voulais amener tes "apprenants".
Cats, je pense que ce comm' est une bonne conclusion.
Il n'est pas négatif, mais constructif !

Oui Coum, tu as très bien saisi ce que je n 'ai moi-même pas su exprimer par écrit.
C'est exactement ce que je voulais dire, sans vraiment arriver à comprendre pourquoi ce texte m'interpellait .
Merci donc d'avoir apporté ton éclairage

Merci de vos coms et de l'éclairage que vous apportez.

A propos d'apport, Coumarine fait la part des choses : mon sujet n'est pas littéraire, mais cela me gêne d'autant moins que volontairement, je ne le situais pas ainsi mais plutôt comme une réflexion à partir de l'écart qui peut exister entre le vécu des uns ou des autres sur cette planète....

Pour faire bref je dirai que ce texte est parfaitement écrit et bien documenté .Je suis incapable d'écrire ainsi. L'ennui c'est que cela me laisse froide...