Plouf !Onze années me séparant de ma sœur aînée – la guerre et la captivité avaient passé par là !-, nous n’avons jamais pu partager nos jeux d’enfants.
A l’âge de la communale, j’ai donc été un garçon solitaire, la plupart de mes camarades de classe – contrairement à moi dont la maison se situait à moins de cent mètres de l’école – habitant dans des hameaux disséminés au cœur de la campagne environnante.
Pour dire la vérité, il y avait bien un autre garçon de mon âge dans le bourg. Mais nos jeux débouchant invariablement sur des querelles de chiffonniers, agrémentées de quelques horions bien sentis, nos familles respectives avaient rapidement mis un terme à ces belliqueuses rencontres !
Du reste, je m’en accommodai fort bien car la solitude ne n’effrayait pas. Une fois ma porte franchie, la nature m’ouvrait les siennes et je n’avais plus qu’à en profiter à satiété.
Je n’évoquerai pas ici la grimpe aux arbres, la traque des nids et l’usage immodéré du lance-pierres, ou bien encore la garde des vaches ou les travaux des champs… Mon propos est de vous entretenir de l’eau. Non pas celle du robinet qui n’avait pas encore fait son apparition dans nos demeures mais celle qui se trouvait à l’extérieur, l’eau en liberté en somme…
Du plus loin qu’il m’en souvienne, j’ai toujours eu avec cette dernière des rapports disons… fusionnels ! Ce qui en clair signifie que je ne pouvais rencontrer une flaque de la dernière pluie sans avoir la tentation d’y patauger d’abondance, une «serbe* » ou un ruisseau sans finir par tomber dedans, de préférence tout habillé. Dès ma première rencontre avec une mare fangeuse à souhait, j’y laissai carrément mes chaussures et les bas de laine tricotés par ma grand-mère. Je rentrai piteusement pieds nus sur le mauvais chemin, jaugeant dans ma tête de jeune écervelé la qualité de la réception qui m’attendait. Sur ce plan-là, je ne fus pas déçu !
Cette douloureuse histoire n’ayant laissé que des remords à la peau rougie de mes fesses, je m’entêtai dans ma conquête du milieu aquatique… Je me remis à fréquenter assidûment tous les étangs et ruisseaux des environs, observant le manège des rainettes dans les roseaux, construisant de prodigieux barrages de cailloux et de terre que l’eau prisonnière ne tardait pas à emporter à mon grand désespoir, glanant dans une fontaine perdue à la lisière de la forêt quelques poignées de ce cresson sauvage, dont je n’ai jamais retrouvé la saveur puissante dans le fade ersatz présent aux étals des marchés.
Mais celle qui continuait de m’attirer tel un aimant, c’était la rivière, vive et babillarde, qui sinuait au pied de la colline. Elle se fit longtemps désirer par suite d’un veto familial nourri de mes « désastres » passés, veto que je n’eus tout de même pas l’audace de contourner.
Vers ma huitième année, mon père entreprit de m’en livrer les secrets et dès lors, j’allai la retrouver aussi souvent que je le pouvais. Hélas, la réclusion de l’internat vint y mettre un bémol, mais dès les premiers jours de vacances, juché sur l’antique vélo de la mère, il fallait voir avec quelle célérité je dévalais la pente qui conduisait à nos retrouvailles…
Elle m’attendait sagement, déroulant son fil d’argent, le long des rives tapissées de vergnes*. C’est là, dans la digue de retenue du Moulin du Pré que je coulai mes premières brasses dans une eau délicieusement fraîche, aidé en cela par une vieille chambre à air dûment réparée par les doigts agiles de mon père. C’est là que je passai des heures à taquiner le goujon, ce petit lutin barbichu de nos eaux claires. C’est là que je débusquai mes premiers cèpes, bronzes noirs au revers d’une touffe de fougères, sous les chênes de bordure… C’est là que j’écrivis sans le savoir les plus belles pages de mon enfance…
A l’âge des cheveux blancs et des souvenirs fous qui affluent en masse, j’en arrive à me demander si mes petits-enfants, abreuvés de nouvelles technologies, auront un jour le privilège de retourner vers les racines de leur lointaine ascendance paysanne… Et si oui, si je serai encore là pour leur raconter mes « aventures » de jeune garçon intrépide et pour procéder à leur initiation campagnarde ?...
Une serbe est en patois limousin une mare convenablement entretenue. Elle servait selon le cas à abreuver les troupeaux, à irriguer grâce à un ingénieux système de rigoles les près en contrebas et aux femmes à laver le linge, agenouillées au bord de larges pierres plates qui s’inclinaient vers l’eau.
Le vergne est le nom limousin de l’aulne glutineux.
L’eau éternelle de la rivière de mon enfance jase toujours le long des rives…