- Bandes de bestiasses ! Vous n'avez jamais vu un coq ? Qu'a-t-il de plus que moi ?
- C'est à dire, mon Coco, sans vouloir t'offenser, file devant un miroir et s'envoleront tes illusions comme plumes au vent... ose Blanchette la favorite.
- Soyons clairs, moi, le coq du village qu'envient tous les poulaillers de la commune, le plus beau, une voix de stentor, une vaillance à toute épreuve et le meilleur défenseur dont peuvent rêver toutes poules honnêtes. Que pèse à côté de mes incomparables qualités, ce petit freluquet ?
- Je ne dis pas que la saison dernière, encore, tu remplissais ton office de fort belle manière, mais l'âge venant, tu deviens … rétorque d'un ton hésitant la Noirette.
- Un coq en pâte ! Voilà ce que tu es devenu. Et sans arrêt, tu sautes du coq à l'âne. Bref, avec toi, on ne risque pas de contracter la chair de poule ! Renchérit First Lady, la cocotte qui mérite bien son nom .
- Dis donc, First Lady, nous savons tous ici que tes origines anglo-saxonnes t'autorisent une certaine distinction, mais je ne comprends rien à ton caquetage s'indigne, non sans avoir proféré un cocorico retentissant, le Coco contesté par sa cour. Veuillez cesser de causer par métaphores !
- « Jamais bon coq n'a été gras », l'aurais-tu oublié ? Or, quand tu te dandines, on dirait la Sidonie, l'oie la plus grasse du parc. Nul, plus que toi n'a mérité le sobriquet de coq en pâte, empaté, devrait-on dire, claironne Chouquette l'effrontée.
- Quant à ton office essentiel, parlons-en ! Sauter du coq à l'âne, je maitrise mal cette expression, mais en matière de saut de poules, à peine as-tu commencé ta cour à une d'entre nous que tu passes à la voisine, laissant en plan le chantier entamé. Foi de Vénus, il y a au moins deux lunes que tu ne m'as pas rendu les honneurs qui me sont dus, cocotte qui s'en dédit ! Caquète la poularde bien en chair.
- Ne te plains pas, Vénus, ma jolie ! Le Coco, il ne me donne pas la chair de poule quand je le vois s'approcher, l'oeil brillant d'un désir irrépressible. En guise de plaisir, il laisse dans ma chair l'empreinte sanguinolente de ses ergots affutés comme des couteaux, confesse Darling la nymphomane.
- Le couteau ! Le mot est lâché, s'exclame Cocotte, spécialiste du poulailler en matière de mets raffinés. Te voilà effaré devant nos récriminations comme une poule qui a trouvé un couteau. Et si je veux, je peux en remettre une couche sur tes insuffisances, mon pauvre Coco !
- Quoi donc encore ? Ne t'ai-je point honoré deux fois depuis le lever du soleil ?
- Oui-da, mais non sans avoir auparavant du superbe ver que j'avais débusqué et de la feuille de salade tombée du ciel, fait tes choux gras. Un vrai mac', un profiteur, v'là ce que t'es devenu, tranche Cocotte la sentencieuse !
- Cocorico ! Cocoricoooooo ! Quelle est donc l'origine de votre courroux, mes jolies ? Votre Coco donnerait-il des signes de faiblesse ? N'ayez crainte, je suis là maintenant, rassure Roméo le magnifique, jeune coq arrivé en ces lieux, la veille au soir. Voyez mon plumage, entendez mon ramage, à volonté, testez ma vaillance.
Quant à toi, vieux Coco, garde-toi bien de me chatouiller de près ou de loin si tu ne veux point finir en capilotade. Désormais, le rassembleur de ce poulailler, c'est moi, Roméo, ici présent, et nul ne saurait me contester ce rôle de danseur étoile, chanteur émérite, chevalier servant de ces dames, n'est-ce pas, mes chéries ?
- Bien dit ! Cot - cot - cot - , la vie est belle, et olé pour notre Roméo !!! s'extasie le choeur des poules énamourées.
- Me prendrais-tu pour une poule mouillée ? A la loyale, nous allons régler le litige, Monsieur le freluquet , glapit le vieux coq déchu.
Il fallait un vainqueur, le vaincu dut s'incliner : les ultimes plumes de son panache trainant au sol comme des épaves, la crête disloquée sous la violence du choc, l'aile pendante, la patte du côté opposé repliée sous son corps replet, notre Coco, tout penaud n'opposa aucune résistance à l'attaque du fermier qui d'un oeil d'expert, jaugea le pauvre volatile :
- Un coq au vin ! La patronne va être contente... Voilà qui va bien agrémenter notre repas dominical !
Et les poules ingrates de proclamer : le roi est mort, Vive le Roi !!!