Kaléïdoplumes 2 : 2010 / 2013
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| | c'étair en 68 | |
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ESCANDELIA Kalé'reporter
| Sujet: c'étair en 68 Sam 4 Mai 2013 - 8:13 | |
| J’ai seize ans !
Voilà combien de temps que je moisi ici dans ce sinistre pensionnat ? Voilà combien de temps que je ne vis plus que deux jours au total dans le mois ?
Je ne saurais le dire tellement est dure la vie dans cet internat. Privée de liberté. Privée d’amour. Privée de joies. Privée de cet air libre que l’on respire à pleins poumons, les soirs d’automne, lorsque le soleil descend de l’autre côté des monts, les chaudes journées de printemps quand monte la brume depuis les vallées où ruissellent impatients nos sources et nos torrents.
Depuis ce temps lointain où nous étions heureux, jusqu’à ces journées fades où depuis combien de temps je m’épuise en vain à attendre ? Attendre que vienne le samedi, une fois sur deux, pour quitter tout un jour ces murs sales et gris ? Mais que c’est long ! Mais que c’est usant ! Tant d’années que je m’étiole, tant d’années que je vacille. Waterloo morne plaine, immuable et insensible à la brise, la vie déroule son tapis de grisaille, il ne se passe rien ici !
Au moindre bruit, au plus petit faux pas, tombent sanctions, lignes à écrire à quatre couleurs, par paquet de cinq cents ! Et les corvées s’accumulent, s’ajoutant aux pages d’écriture.
Moi ? J’aurais aimé Byzance, j’aurais aimé Carthage ! Les raisins de Corinthe, les roses de Chiraz, Boukhara , Samarkand, les rives de l’Islande, les chutes du Niagara. Plus simplement encore courir dans la rosée parmi les monts du Livradois.
Voilà combien de temps que je survis à cette dure existence qui me détruit un peu plus chaque fois ? Que du jour monotone et sans soleil, je passe à la nuit dépourvue d’étoile, sans voir autour de moi la nature au matin qui s’éveille, ni le soleil au soir qui s’en va ?
Voilà combien de temps ?
J’avais seize ans, c’était en 68. Du monde qui bascule à celui qui s’éveille, j’ai gardé en moi la nostalgie de cette liberté retrouvée. Après un joli mois de mai où j’ai vu refleurir les brins de muguet, les roses de l’été, j’ai croqué à pleines dents les pommes du vieux pommier. J’ai saisi à poignée la terre labourée. Mes Enclos* m’attendaient, mes vaches de rouge habillées tranquillement paissaient, mon jeune chien fou gambadant à leur côté. La Charmante de temps à autre venait et me léchait le visage de sa langue râpeuse, mais si réconfortante, et la Jolie reniflait avec curiosité mon ouvrage posé à mes pieds. Pendant ce temps, la Pomponne rusait pour chercher dans le champ d’à côté quelque gorgées de ce blé semé à l’automne et qui déjà levait.
Au font de moi je pensais que c’est beau, la jeunesse, encore, faut-il savoir l’utiliser !
* les Enclos, c'est le nom d'une terre, autrefois un château dominait le village où je suis née.
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| | | kz Kalé'reporter
| Sujet: Re: c'étair en 68 Sam 4 Mai 2013 - 8:56 | |
| "Privée de cet air libre que l’on respire à pleins poumons, les soirs d’automne, lorsque le soleil descend de l’autre côté des monts, les chaudes journées de printemps quand monte la brume depuis les vallées où ruissellent impatients nos sources et nos torrents." Voilà le genre de phrase qui me touche beaucoup. L'auteure prend le temps de développer des images pour que le lecteur puisse bien voir les sentiments exprimés. La pensée de celui qui écrit est toujours plus rapide que celle de celui qui lit. Développer des images, c'est respecter le lecteur. Et c'est exactement le sentiment que donne ce texte. Idem pour la description des mouvements des vaches, la Jolie, la Charmante, la Pomponne, vers la fin du texte. La répétition des trois manières de ces animaux d'être présents à la jeune fille, permettent au lecteur de bien ressentir ce qui se vit là. Un texte dont on sent qu'il a été écrit en pensant à ceux qui vont le lire ne peut-être qu'un bon texte. La lecture de ce texte me renforce dans l'idée que la véritable écriture est celle où la place centrale est donnée au lecteur. C'est difficile, car il y a toujours une dimension narcissique dans le désir d'écrire. De ce point de vue, le concept de "consigne" devient intéressant puisqu'il nous force à sortir de la tyrannie du "moi". Bref, un bon texte en ce qui me concerne ! | |
| | | Admin Admin
| Sujet: Re: c'étair en 68 Sam 4 Mai 2013 - 10:18 | |
| - kz a écrit:
Développer des images, c'est respecter le lecteur. Et c'est exactement le sentiment que donne ce texte... La lecture de ce texte me renforce dans l'idée que la véritable écriture est celle où la place centrale est donnée au lecteur. Absolument d'accord avec ce que dit KZ. Pour moi aussi, c'est un bon texte, un de ces textes que j'aime lire, parce que j'ai l'impression qu'il vient me chercher moi, et m'embarquer dans des souvenirs qui pourraient être les miens. bravo Delia, tu as bien fait de faire les deux dernières consignes en même temps. Sans ta permission, j'ai corrigé 2 fautes de conjugaison | |
| | | catsoniou Kalé'reporter
| Sujet: Re: c'étair en 68 Sam 4 Mai 2013 - 18:40 | |
| A te lire (et d'autres qui ont connu le pensionnat), j'en arrive à me dire que ce n'était peut-être pas tellement plus marrant que le travail dans les fermes ou chez le maraicher ... Et tu nous amènes à regarder les vaches tout autrement . | |
| | | Nerwen Modératrice
| Sujet: Re: c'étair en 68 Sam 4 Mai 2013 - 18:52 | |
| Les "spécialistes" ayant déjà tout dit, je n'ajouterai que ceci: j'ai eu beaucoup de plaisir à entrer dans tes souvenirs... | |
| | | ESCANDELIA Kalé'reporter
| Sujet: Re: c'étair en 68 Sam 4 Mai 2013 - 20:00 | |
| - Citation :
- Et tu nous amènes à regarder les vaches tout autrement
. comment ça ? n'aimeriez vous pas les vaches ? En tout cas, merci de vos coms et de vos encouragements. 1) je suis comblée que cela vous ai plu, 2) je vous remercie de l'intérêt que vous témoignez à mes modestes contributions, sinon ça servirait à quoi que Ducros se décarcasse ? Hein ? | |
| | | Noufloca Occupe le terrain
| Sujet: Re: c'étair en 68 Dim 5 Mai 2013 - 10:46 | |
| C'est vrai que le lecteur est transporté dans ton horrible internat gris mais aussi parmi les brins de muguet, les roses et les pommes de ton pommier, près des vaches, avec ton chien ; j'imagine même les odeurs qui accompagnent toute cette campagne. Si tu n'avais pas précisé "internat", j'aurais compris que tu étais dans un établissement d'incarcération. | |
| | | Amanda Modératrice
| Sujet: Re: c'étair en 68 Dim 5 Mai 2013 - 10:57 | |
| Escandelia, j'arrive tard, je ne vais pas répéter ce que les autres ont si bien exprimés. J'admire la performance de traiter deux consignes à la fois, j'admire le ton, le style, tout ce qui monte en toi comme rage de ce temps perdu, mais aussi tes descriptions sensibles ! Et toi qui me disais ne pas être inspirée, pas plus tard que ce jeudi ! | |
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| Sujet: Re: c'étair en 68 | |
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| | | | c'étair en 68 | |
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