Nolwen (journal, extraits)

J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans. Ma femme est morte. Sa robe de mariée jaunit dans un carton. Mon bateau est sous scellé.
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3 juillet 2000

Yannick et moi sommes engagés comme équipiers pour une croisière entre Toulon et la Giraglia. Nous partons par une brise légère ; la nuit, je suis réveillé par le bruit des clapotis insistants le long du bordé bâbord. Le vent a forci, le foc remplace le génois. En quelques heures la tempête s’est levée et au petit matin toutes voiles abattues, nous hissons le tourmentin. Alors que la mer est démontée, le vent tombe complètement; nous sommes une coquille de noix ballottée par les vagues.

En méditerranée, les tempêtes se lèvent rapidement et tombent aussi vite. Nous ne sommes pas encore amarinés, je vomis tripes et boyaux.

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15 mai 2005

Elle ouvre le bal. Elle m’annonce, coquette, que sa robe de mariée est un modèle Nolwen. Une robe bustier rehaussée de dentelle. Ravissante ; elle est ravissante. Son chignon dégage son cou de cygne ; ses épaules dénudées mettent en valeur son décolleté pudique ; je la désire et elle le sait. Le bonheur, comme le champagne, coule à flot.

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12 mars 2010

Nous avons acquis un voilier côtier. Je le baptise Nolwen.

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7 août 2011

Nous partons pour une croisière côtière en Normandie. Au moment d’entrer dans l’écluse du port de Ouistreham, la clavette de l’hélice à pas variable se brise. Le bateau n’est plus manœuvrant ; nous rentrons en marche arrière dans l’écluse pour la plus grande joie des plaisanciers déjà engagés. J’ai honte. Elle rit aux éclats.

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7 mai 2012

Nous reprenons la croisière interrompue l’an passé. Aujourd’hui, Honfleur – Le Havre. Je pars faire les courses. Lorsque je reviens, elle gît dans son sang au milieu du cockpit.
Je suis rapidement innocenté ; le ticket horodaté du Simply, le témoignage de la caissière, la description précise des événements de la matinée, tout fait foi.
Le bateau est mis sous scellés.

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7 mai 2013

C’était il y a un an. Les scellés ont été levés. L’assassin est sous les verrous. A la vue du « Nolwen », un sanglot monte, irréductible ; Yannick me prend par l’épaule.
Dans la voiture nous décidons de remettre le bateau en état et de reprendre la mer ; de Honfleur au Havre.

En hommage à Nolwen, ma femme.

waouh ! c'est du lourd ces extraits !
Ils m'ont scotchés comme un coup de vent en pleine avarie !

Bravo Kz, j'aime beaucoup et tu sais me laisser sur ma faim j'aimerai pouvoir remplir les pointillés entre 2000, 2005, 2010... que s'est-il passé qui a permis d'avoir 1000 souvenirs...

Je reste abasourdie par ce journal, qui commence de manière anodine pour finir en tragédie.
Je reste abasourdie par tes connaissances en navigation, par la précision des données de la croisière.
Je reste attendrie par ta description de la mariée et du bateau joliment baptisé de son nom.
Et enfin, j'ose posé la question indiscrète : est-ce du vécu ?
Si cela l'est, alors merci et
Si ce ne l'est pas, de toute façon !

Ton texte rappelle des tragédies réelles qui se sont déroulées à bord de navires de plaisance, d'autant plus terribles que l'environnement est idyllique et que les mobiles restent inexpliqués.

Très bel enchainement de dates évocatrices de bonheur partagé sur l'amour de mer et navigation. La fin tragique de l'être aimé somptueusement décrit, vous atteint comme un coup de massue.

Sublime ce journal intime


PS : je suis interpellé par la narration de la croisière entre Nice et Toulon en croisant les doigts pour une perspective différente : le 1er juin, nous embarquons à Toulon pour l'Ile de Beauté ...

C'est une façon de traiter cette consigne extrêmement originale . Un simple journal de bord, quelques extraits qui nous font passer du charme De la croisière a l'horreur, le tout sur un ton parfaitement neutre !
Super original et très bien écrit

Très émouvant ces extraits de journal de bord. N'y connaissant rien en navigation j'ai appris plein de nouveaux mots de vocabulaire. Et puis cette tragique histoire d'amour qui se termine en faisant si mal.
Le goût du large reste cependant intact: tu repars...
Bravo et merci pour ce superbe texte.

j'aime la fluidité de ton texte. Particulièrement sous forme de journal intime. Les épisodes s'enchainent et nous laissent sur notre faim. Un bien beau texte.

On ne s'attend pas à un tel drame après un tel bonheur. Bravo pour ce journal qui reflète avec simplicité les aléas de la vie. Je vois aussi que tu connais bien les bateaux...