Aujourd’hui 22 juin, je suis parti faire le tour de Strasbourg en bus et en tram, par l’extérieur.
15:36, je monte dans le bus n° 2. La climatisation du bus est efficace même si la chaleur extérieure n’est que de 28°. Le temps est beau, mais les nuages abondants.
Le 2 termine sa course au port du Rhin Nord. Au loin, sur la darse, à gauche, les auvents des bateaux-mouches et de l’autre côté le port de plaisance.
Nous passons devant ce qui reste d’un restaurant détruit par un incendie ; sur la façade quelques lettres en relief, on devine qu’on y servait de la Schutzenberger. En face, le port à conteneurs où s’empilent sur cinq hauteurs des boîtes bleues, oranges et rouges qui ponctuent cet univers un peu gris de quelques notes de couleurs bienvenues. La barge porte conteneurs qui descendra lundi le Rhin jusqu’à Rotterdam est là, sagement amarrée le long du quai. Entre deux darses, la Poste construite à la fin du 19e par les Allemands.
Le bus continue sa route, passe devant la malterie et ses immenses silos à grain, puis traverse les voies de service tout près de la gare du Port du Rhin où je descends pour aller prendre le 21.
L’arrêt du 21 est à deux cent mètres. Le site est en travaux. L’hôtel Ibis et la pharmacie qui avaient été incendiés lors des émeutes de 2009 à l’occasion du G20 sont maintenant rasées. Nous sommes en 2013 et la reconstruction commence à peine. Au milieu de la route, une femme à vélo ; devant moi à dix mètres, un îlot d’herbes folles où s’épanouissent, ivres de soleil, des centaines de coquelicot. Paradoxe de ces paysages urbains où alternent beauté et laideur qu’il convient d’isoler pour profiter de l’une sans souffrir de l’autre.
Je traverse la nationale 4 et monte sur un carré de verdure bordé d’un monticule destiné à éviter le stationnement intempestif des caravanes des gens du voyage. Double violence si fréquente dans nos sociétés.
Au moment où j’arrive devant l’arrêt du 21, un bus articulé se présente. D’après la plaque d’immatriculation, il est de 2012. Il me paraît flambant neuf. Le confort des transports en commun de Strasbourg me réjouit, je le prends toujours pour une marque de respect des populations moins aisées qui justement les utilisent.
Sur la piste cyclable une famille en vélo. Ici, la route est à quatre voies ; au centre, un terre-plein planté de jeunes arbres entre lesquels poussent des herbes folles ; la politique de la ville est de laisser autant que faire se peut la nature à l’état sauvage pour laisser un maximum de refuges à la faune et à la flore. Même dans les jardins publics davantage entretenus, les pelouses sont tondues moins souvent là où cela ne gêne pas les promeneurs.
Sur le pont Vauban, des travaux et un contrôle de police. La circulation se fait au pas. Les usagers du bus ne sont pas stressés, cela discute, téléphone ou simplement attend les yeux dans le vague. Le quartier dit des "deux Rives " est en pleine construction ; trois grues dansent dans le ciel autour d’immeubles en devenir.
Le bus arrive à Jean Jaurès, c’est là que je vais changer pour prendre le tram vers le sud. Sur le quai d’en face, quatre jeunes filles, les écouteurs dans les oreilles, une femme assise rentrant des courses qui se cure les ongles, un homme qui scrute l’arrivée du tram et une autre femme qui lit un prospectus.
Après deux minutes, le tram arrive. Sur cette ligne c’est un Bombardier qui remplace petit à petit les premiers trams italiens qui semblent mal vieillir : des problèmes récurrents de portes. Croyez-le ou non, dans un tram comme dans les trains de banlieue, le talon d’Achille ce sont les portes. Les contraintes sont colossales et la mécanique fragile.
Après la courbe qui nous oriente vers le sud, un groupe de quatre hommes, visiblement des marginaux si l’on considère les bouteilles sur le trottoir.
La ligne traverse le Neudorf un quartier populaire avec de nombreuses cités HLM bien conservées. Et puis après quelques rues, des villas des années cinquante. Tout à coup en lisière d’un parking un grand massif de ces rosiers robustes et prolifiques que l’on voit très souvent en ville le long des lignes de tram lorsque celles-ci sont recouvertes de pelouse. A certains endroits se promener le long d’une ligne de tram vaut bien une promenade au jardin public.
Au fur et à mesure des stations, le tram se rapproche du Neuhof, un quartier plus défavorisé. Il passe devant le dépôt, immense complexe posé là aux limites de l’aéroclub du Polygone qu’on devine à l’arrière. La ligne longe ensuite le cimetière sud. Derrière la station St Christophe, l’église éponyme construite dans les années 60. Une grange en béton sans aucun charme et sans doute peu de paroissiens compte tenu de l’évolution du peuplement du quartier depuis vingt ans majoritairement issu de l’immigration et donc plutôt musulman.
Le tram longe, d’un côté le quartier Lizé, une caserne qui abrite le régiment européen de Strasbourg où se côtoient, français, allemands et espagnols et de l’autre les cités réputées plus difficiles. Certains balcons débordent de vélos rangés là à côté de nombreuses paraboles.
Et puis tout d’un coup, un immeuble muré en instance de démolition. Impressionnant !
Nous arrivons au terminus, "Rodolphe Reuss ", un éminent historien spécialiste de la guerre de trente ans. Au coin de la station, la villa de ce savant transformée en bibliothèque municipale et en jardin public où au pied d’un arbre centenaire trois femmes d'origines étrangères assises sur la pelouse, discutent tout en gardant leurs enfants.
Finalement, le 40 arrive, changement de chauffeurs, ils échangent deux ou trois mots. Le chauffeur montant étale une serviette éponge sur le siège, rapproche le volant et remonte le siège.
On traverse la frontière entre deux des quartiers réputés chauds de la ville : le Neuhof et la Meinau. C’est dans ce terre-plein qu’ont parfois lieu des bagarres sévères entre bandes rivales, chacune revendiquant la portion non bâtie du no man’s land.
Et puis, c’est la route de Colmar qui longe le lycée Couffignal, immense bâtisse hébergeant des milliers d’élèves avec sur le campus, un internat. Une usine à éduquer qui vide les trams le matin pour les bonder le soir. Derrière le lycée, la zone industrielle de la Meinau, un beau bassin d’emploi principalement dans le commerce de gros industriel sous toutes ses formes. Puis en lisière d’autoroute, un vaste espace de jardins ouvriers qui sont l’un des charmes de ces quartiers. Quelques légumes bien sûr, mais surtout des fleurs à n’en plus finir, particulièrement des roses.
Le bus traverse alors l’autoroute, longe la voie ferrée vers Colmar Mulhouse et arrive à son terminus de la Montagne verte.
Il est dix sept heures, et je dois rentrer. Je terminerai mon périple un autre jour.
Reste l’impression dominante de cette traversée des quartiers est et sud, des ensembles globalement pauvres même s’ils sont entretenus, une population courageuse et digne au-delà des difficultés liées à une présence connue de drogue et de trafics divers. Nous sommes loin de la carte postale du vieux Strasbourg avec sa cathédrale, ses vieilles églises toutes plus belles les unes que les autres, ses maisons à colombage.
Ces quartiers je les traverse depuis trente ans, sans toujours les regarder ; ils sont attachants car ils sont le lieu de vie de dizaines de milliers de gens simples, et je me réjouis toujours des efforts faits par les municipalités successives, de gauche comme de droite, d’abord pour les irriguer (transports, commerces, etc.…) et ensuite pour favoriser, ici ou là des espaces de calme et de beauté, car il y en a.
Tout n’est pas réglé, de beaucoup s’en faut, mais la vie est là et ils sont nombreux ceux qui en prennent soin.