Intermède...

Modératrice

Je traînais mon ennui depuis des heures dans une ambiance de kermesse, au milieu des rires, de la musique assourdissante et des galops effrénés des gamins, sur cette place de la grande ville où avait lieu, comme chaque été, la traditionnelle fête foraine. Elle devenait d’ailleurs de plus en plus miteuse chaque année et n’attirait plus aujourd’hui, que les désœuvrés du dimanche et les enfants.
Je broyais du noir : j’avais perdu mon boulot et ma dernière conquête avait jeté l’éponge.
Je ne sais pas ce qui m’a poussé à entrer dans cette baraque foraine. L’oisiveté… la solitude… la vacuité du moment… Surement pas la curiosité ! Je n’aime ni le cirque, ni le music hall et, pourtant, l’affiche racoleuse a attiré mon attention et j’ai franchi le rideau crasseux qui protégeait des regards l’intérieur de la tente bariolée.

Il régnait dans la pénombre intérieure, une chaleur moite entretenue par les épaisses tentures de velours rouge qui étouffaient les bruits de l’extérieur, créant un ilot de silence feutré assez déconcertant après le tohu-bohu de la fête. Quelques rangées de chaises bancales faisaient face à une scène improvisée, où trônait un unique fauteuil semblant attendre son éventuel occupant. Bizarrement il y avait des spectateurs. Je me glissais au dernier rang.

Une musique lancinante, vaguement orientale, s’éleva, créant une ambiance mystérieuse à souhait. Un petit homme sortit de l’ombre et annonça d’une voix nasillarde : « Mesdames et Messieurs, le Professeur Magnus, de passage dans votre ville, va tenter devant vos yeux ébahis, une séance d’hypnose sans aucun truquage. Y a-t-il parmi vous, Honorables Spectateurs, un volontaire pour se prêter à cette expérience unique. Je précise, pour rassurer les dames, que c’est absolument sans danger. Allez, Mesdames et Messieurs, un volontaire ?... »
Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais j’ai levé la main.

« Ah, Monsieur au fond ! Approchez, approchez, venez me rejoindre et prenez place sur le fauteuil ! On applaudit, le courageux spectateur ! »
Quelques applaudissements éclatèrent accompagnés de discrets « Bravos ! ». La plupart des spectateurs étaient soulagés d’avoir trouvé un cobaye prêt à découvrir à leur place les secrets de l’hypnose. Découverte dont ils comptaient bien profiter par personne interposée.
« Maintenant, Mesdames et Messieurs, j’ai l’honneur et l’avantage de vous présenter, le très célèbre Professeur Magnus, connu et respecté dans le monde entier…

La voix du bonimenteur fut couverte par les applaudissements et un homme de haute taille vêtu du traditionnel costume de magicien, haut de forme et cape compris, fit son entrée. Il salua son public à droite et à gauche, réclama le silence et s’approcha de moi.
Je commençais à me demander ce que je faisais là et des souvenirs de récits d’hypnotisés, contraints à se livrer à des incongruités notoires devant tout le monde, me revinrent à l’esprit. D’un autre côté, j’avais entendu dire qu’un hypnotiseur ne pouvait pas obliger son sujet à se livrer à des actes qu’il refuserait en pleine conscience.

Magnus se pencha vers moi. Sa voix correspondait bien au personnage : grave et profonde, il s’en dégageait une impression de calme : « Détendez-vous, dit-il. Vous êtes bien... vous respirez profondément, tranquillement... tous vos muscles se détendent...vos paupières sont lourdes...lourdes…vous les fermez...vous sentez une agréable sensation de lourdeur vous envahir...vous êtes bien… merveilleusement bien...vous glissez lentement, irrésistiblement dans le sommeil...Vous dormez ! »
Et de fait, une agréable sensation cotonneuse me saisit. Je m’y laissai glisser comme dans un rêve. La voix du Professeur me parvenait, lointaine, et je répondais à ses questions dont je ne garde aujourd’hui aucun souvenir. C’était agréable et je me sentais, serein, léger et détendu, comme en apesanteur.

Je fus surpris quand un claquement de doigts me tira de ma transe sous une salve d’applaudissements. Je me relevai, un peu déconcerté, le temps de recouvrer mes esprits et d’apprendre, entre autre, que j’avais caressé un rat, moi qui les ai en horreur !
Je ne cherchais pas à en savoir davantage. Il me tardait de me retrouver à l’air libre, seul, pour me remémorer ce bienheureux état de sérénité qui m’avait habité pendant un trop court moment et fait oublier, le temps d’une parenthèse inattendue, la morosité de mon quotidien.

Au loin, la voix nasillarde du bonimenteur s’évanouissait dans la nuit : « Mesdames et Messieurs, le Professeur Magnus, de passage dans votre ville…… »

Kalé'reporter

Sous hypnose, oublie-t-on qui on est au point de se livrer à des actes incongrus ? Hum !!!
Danger...
Quoiqu'il y a là un joli moment d'évasion et le récit de Nerwen en témoigne ... quel talent !

Kalé'reporter

L'ambiance de la fête foraine est particulièrement bien rendue. A l'évocation des lourdes tentures rouges, on y était déjà !
Une histoire sobre et originale avec le détail du rat qui pimente en final l'évocation, tout cela est parfait ! bravo

**Maîtrise le sujet**

Une parenthèse très originale qui m'a tenue en haleine du début à la fin...
bravo

Occupe le terrain

L’atmosphère un peu minable de la fête et de la baraque est très bien décrite, ainsi que le bagout du bonimenteur. Je m’attendais à une histoire plus ou moins inquiétante, et finalement non, ça débouche sur la sérénité. Il est vrai que l’hypnose sert aussi à soigner.

Kalé'reporter

Une écriture évocatrice que j'aime beaucoup, tu as l'art de nous faire entrer dans une histoire, de nous y mener et promener de main de maître. Parenthèse inattendue, à tous points de vue, mais agréable, si agréable..... oh la la, je sens que je m'endors..... zen

**Maîtrise le sujet**

Je me demandais où tu comptais nous emmener et je t'ai suivi les yeux fermés, mais pas sous hypnose.

Le spectacle est dans la salle, on s'y croirait ! Comme toujours, ton texte est plus que prenant quel talent !