La princesse oubliée...

Modératrice

Je m’appelle Bianca et j’embarrasse fort mon père, le puissant duc de Milan, Ludovic Sforza dit Ludovic le More. Fille illégitime je suis, en ces temps où les bâtards ne servent le plus souvent que de monnaie d’échange pour satisfaire les ambitions paternelles. Et de l’ambition, mon père n’en manque point. Savants, peintres, architectes et bâtisseurs se pressent à la cour de Milan pour illustrer sa gloire. C’est ainsi que ma petite vie insignifiante entre les mains des puissants, va croiser celle du plus grand artiste de son temps, celui qui, a ma naissance, n’est encore qu’un peintre à la recherche d’un mécène. Quand Léonard de Vinci fait mon portrait, je viens d’avoir treize ans. Attiré par ma jeunesse et mes yeux d’ambre clair, il va fixer mes traits sur une page de parchemin dans le codex réalisé à la gloire des Sforza. Cette année-là, mon père me donne en mariage au commandant de son armée et homme de confiance, Galeazzo Sanseverino, de vingt deux ans mon aîné, à qui je suis promise depuis l’âge de huit ans. J’ai de l’admiration pour lui. Galeazzo est l’ami de Léonard, son mécène aussi et il est normal qu’à la veille de notre mariage le peintre me prenne comme modèle. Il me représente de profil à la manière lombarde mais dans des tonalités toutes florentines.
Quelques mois plus tard, alors que mon mari guerroie au loin, je vais mourir d’une grossesse extra-utérine, d’une passione di stomaco dira la chronique toujours pudique. Je n’ai pas quatorze ans…
L’histoire, mon histoire, aurait pu s’arrêter là, dans le chagrin et le deuil, et le portrait disparaître dans la poussière des siècles… C’était sans compter sur le hasard, ce grand magicien.

Mon portrait réapparaît en 2007 au cours d’une vente aux enchères chez Christie’s. Dans le catalogue, il est attibué à un anonyme allemand du 19ème siècle. Un collectionneur canadien, passionné d’œuvres sur papier, Peter Silverman, qui avait déjà croisé mon chemin quelques années plus tôt sans pouvoir m’acquérir, réussit cette fois à se rendre propriétaire de mon portrait pour la somme de 19000 $. Une intuition fulgurante, comme il n’en n’existe que dans les romans, lui fait pressentir que l’œuvre qu’il a entre les mains est beaucoup plus ancienne. Pourquoi pas la Renaissance ?
Je vous ferai grâce des minutieuses investigations menées par les meilleurs experts scientifiques internationaux, qui, de New York à Varsovie ont mené des enquêtes utilisant des techniques d’authentification de pointe. Ils se sont heurtés au scepticisme de certains experts et sommités des musées mondiaux, dérangés d’être passés à côté de cette découverte. Ceux-ci arguaient du fait que Léonard n'avait jamais travaillé sur parchemin et encore moins à la craie, au crayon et à l'encre. Mais, a-t-on jamais fini de découvrir l’étendue des recherches du plus grand artiste novateur de son temps ?
Je ferai aussi l’impasse sur les rayons et autres scanners, dont l’utilisation jalonne ces recherches, pour vous parler de la dernière preuve, la plus émouvante à mes yeux.
Quelques pages du codex milanais d’origine, conservé à la Bibliothèque nationale de Varsovie, ont disparu au cours des siècles et les experts ont pu vérifier que les trois orifices repérés sur le vélin qui me représente, correspondent parfaitement à ceux de la reliure… Mon portrait a sans doute été découpé, puis collé sur un panneau de chêne, ainsi qu'il apparaît aujourd'hui.

A cinq cents ans de distance, moi, Bianca Sforza, je sors de l’oubli pour devenir le treizième portrait connu du maître italien.

Le portrait est estimé aujourd’hui à plus de 150 millions d’euros.

J'ai viens de terminer ce texte après m'être livrée à un de mes passe-temps favoris, le dessin (j'ai une passion pour ceux de la Renaissance).

**Maîtrise le sujet**

Passionnant ton texte, le récit de sa propre histoire par la demoiselle est une idée originale
bravo!

C'est marrant, parce qu'en ce moment je suis en train de lire un roman qui se passe à l'époque de Laurent de Médicis, avec les intrigues à Florence, une histoire d'amour.
C'est très romancé, mais trop mal study

Kalé'reporter

On finit par en oublier le dessin ! L'histoire est intéressante et originale. On s'instruit, c'est sympa ! Et puis on découvre ce que peut être une âme ce collectionneur. Dépenser 150 000 $ sur une intuition, faut-il déjà qu'elle soit solide ! bravo

Modératrice

Peter Silverman n'a dépensé "que" 19 000$ pour suivre son intuition, c'est maintenant que le dessin vaut plus de 140 millions de dollars. Joli investissement cool !

Merci de vos coms. flower

Occupe le terrain

Double histoire, celle de la jeune fille et celle de son portrait, aussi émouvantes l'une que l'autre. Mais le tableau a eu bien plus de chance que son modèle, il est quasi-immortel maintenant alors que la pauvrette a eu une vie bien brève.

Invité

Captivant et enrichissant, ton texte Nerwen ! Gageons que se cachent encore de par le monde des œuvres méconnues de Léonard de Vinci ! Heureux les "découvreurs" !

Modératrice

Merci pour ce texte qui nous fait découvrir la princesse oubliée et l'oeuvre du grand Maître ! flower