Admin, cette fois, tu nous incites la paresse, et c’est bien volontiers que je m’y laisse aller.
Le texte qui suit a été écrit en juillet 2010 pour un autre forum. Je ne me souviens des conditions d’écriture d’un texte que quand j’étais dans un autre environnement que ma maison ( dans la famille, chez des amis, en voyage, dans uns salle d’attente etc.) Cette fois, j’étais chez mon fils, non loin de Poitiers, en pays lusignanais ( le pays de la fée Mélusine). Je me revois très bien assis dans son jardin, avec vue sur la campagne, il faisait très beau, des oiseaux et des chats faisaient des apparitions furtives. J’ai commencé à jeter quelques idées sur un carnet et une ébauche d’histoire. Ensuite je suis rentré et j’ai continué sur mon ordinateur. Et là, mes souvenirs s’arrêtent.
Quelle idée d’avoir emmené Caro au Festival de la Magie ! Peut-être que les magies s’annulent entre elles. Et ma Caro, depuis quinze ans de vie commune, c’était une magie quotidienne. Son sourire, sa façon d’être, ses moindres gestes, avaient transfiguré mon existence. Mais ce Festival s’était installé sur une petite place, à deux pas de chez nous. Difficile de résister. Nous étions bon public, comme le sont souvent les amoureux. Nous avons beaucoup ri aux facéties du ventriloque, dont la drôle de poupée, un bonhomme vêtu en marin, roulait des yeux et draguait effrontément ma Caro. Plus loin, nous avons frémi devant Shantaram, l’hindou aux yeux terribles qui coupait une femme en deux sur fond d’hallucinante mélodie orientale. Et nous avons regardé, fascinés, le sac à main de Caro réduit en miettes puis reconstitué entre les mains d’un prestidigitateur rigolard. Nous savions bien que ce n’était là que des « trucs » mais nous étions heureux comme des enfants de faire semblant d’y croire.
Au milieu de ces baraques rutilantes, l’officine du Professeur Orlof faisait piètre figure. Des planches disjointes, une peinture écaillée, ternie par les saisons, qui laissait à peine lire, en lettres jadis d’or : «Professeur Orlof…Réalisez votre vœu secret grâce à la Magie Russe» Caro eut un mouvement de recul. Chère Caro, si sensible, bouleversée par l’impression d’abandon et de tristesse émanant de cette pauvre attraction foraine !
Que pouvait bien dissimuler cette façade minable ? Sans doute quelque charlatan désabusé qui débiterait des formules sibyllines. Au mieux une séance d’hypnotisme. Intrigué malgré tout par cette « Magie Russe » et attiré par sa promesse, je poussai la porte, ignorant le regard suppliant de Caro…
A l’intérieur, il n’y avait rien. Rien d’autre qu’une atmosphère sombre et opaque. Très loin, deux yeux apparurent, juste deux yeux suspendus dans l’air lourd comme des lanternes dans le brouillard. Je pensai à Caro qui attendait à quelques mètres de là mais qui me semblait lointaine et irréelle. Les yeux là-bas, me fixaient, un regard qui se frayait un passage bien au-delà de mes pupilles, s’insinuait tout au long du labyrinthe de mes neurones. A la recherche de quoi ? De mon «vœu secret» ? Tout à l’heure, devant la baraque, j’avais songé à la multitude de souhaits que j’aurais pu formuler et qui tous concernaient Caro. Lui donner enfin un enfant, lui offrir une vie plus facile… Mais on ne me demandait pas mon avis, on sondait les tréfonds de mon esprit, on déchiffrait en moi des territoires mentaux inconnus de moi-même et cette intrusion me terrifiait.
Les yeux s’évanouirent, un rai de soleil filtra par la porte. Je me précipitai dehors. Plus de trace de Caro ! Je parcourus fébrilement la place, interrogeant les forains et les passants. En vain. Personne n’avait vu Caro. Peur au ventre, je suis retourné en hâte chez cet Orlof, prêt à défoncer sa frêle baraque mais elle avait disparu. Et son propriétaire aussi.
Je n’ai jamais retrouvé Caro. Je passe mon temps chez les psys, les prêtres, les voyants, les mages. Car seule me maintient en vie cette question : quand donc ma part mauvaise, mon être caché ou mon inconscient ont-t-ils pu formuler ce vœu exaucé par l’infâme Orlof : puisse Caro disparaître à tout jamais !