Réminiscences conscientes

Le jus d’ananas coule lentement dans le shaker. Jacques referme le bouchon et mélange avec vigueur. Il espère avoir mis assez de glaçons alors qu’il vide le caribou lou dans son verre. Il rajoute un petit parasol avant de se diriger vers son balcon et de s’installer les orteils en éventail. La petite aiguille de l’horloge s’approche du milieu entre le ‘III’ et le ‘IV’.  Le rendez-vous avec Mme Gertrude devrait bientôt avoir lieu, mais pas aujourd’hui : Jacques est en vacances avec l’intention d’en profiter. Il rajuste son chapeau de paille et pose sa montre à l’envers sur la petite table puis il commence à siroter son cocktail, les yeux mi-clos.

Regardant par-dessus la rambarde de sa balustrade, il voit la vieille dame arriver. Il la hèle galamment  mais après l’avoir salué,  il lui rappelle qu’il est en semaine de congés. Il n’en prend qu’une par année, il n’allait pas commencer à prendre des rendez-vous quand même, malgré la gentillesse de la pauvre femme, aucune exception. Elle souffre d’Alzheimer et pourtant, elle n’oublie jamais une seule de leurs entrevues, quoiqu’elle radote les mêmes plaintes, comme quoi ses deux enfants et feu son mari sont trop peu souvent là pour elle… les pauvres enfants, ils font le trajet en avion depuis Paris un week-end sur deux, se relayant pour la voir et la soutenir chaque dimanche mais le jeudi, elle ne s’en souvient jamais. Pourtant, s’il la croise en début de semaine, elle lui raconte quelquefois des anecdotes du week-end passé avec son fils ou sa fille…

La petite Carole coure dans la rue, poursuivant un papillon ou un chat de ce que Jacques en voyait. Une drôle de petite fille, onze ans déjà, toujours aussi en fusion avec la nature qu’à ses cinq printemps. Il se remémore avec tendresse quand sa mère l’avait amené en larmes. Son poisson rouge était mort et elle avait très mal vécu : elle avait arrêté de manger et se plaignant de douleurs continuelles au ventre, elle ne pouvait plus aller à l’école, le docteur l’avait redirigé vers lui, ne sachant plus que faire. Il y repensait en souriant, maintenant qu’elle va mieux mais sur le coup, ce n’était pas la même paire de manches. Quelquefois, elle revenait lui donner de ses nouvelles, son chat BouledeNeige sous le bras. Très mignon le chat, soit dit en passant, elle en fait ce qu’elle veut.

Il se redressa en se tenant fermement à la rambarde de sécurité de son balcon, bu une nouvelle gorgée et fit mentalement le compte de ses patients, se souvenant des petites histoires de chacun, des mauvais moments souvent et des petits tracas, quelques fois des joies prodiguées, comme celle qu’il ressentit quand Carole le vit et lui sourit. Et pourtant…

Alors que le soleil se couchait à l’horizon, il ouvrit les pages jaunes.
« Allô Dr. X, pourriez-vous vous libérer cette semaine pour un collègue ? »


Je viens d'écrire le texte (j'ai tout de même fait l'effort de me relire, d'utiliser un correcteur d'orthographe, si ils restent des fautes, n'hésitez pas à me le dire svp  ) après qu'on m'est dit qu'il serait bon pour moi d'aller voir un psy. Ayant découvert un nouveau cocktail très rafraîchissant (L’abus d’alcool est dangereux pour la santé) et souffrant de la chaleur, j'en ai profité pour faire un clin d'oeil aux deux.