Nerwen Modératrice
| Sujet: Lettre ouverte à mes arrière-petits enfants Ven 30 Aoû 2013 - 20:11 | |
| Lettre ouverte à mes arrière-petits enfants,
Bien sûr vous n’êtes encore que de tout petits enfants, mais le temps passe si vite (cinquante ans déjà !) que bientôt, pour ainsi dire demain, vous serez en mesure de lire et de comprendre toute la portée du discours prononcé par Martin Luther King, à condition qu’un adulte responsable vous en ouvre les portes et vous raconte, à la manière d’une belle histoire le déroulement de cette journée mémorable. Quoi de plus naturel que ce soit moi, votre arrière-grand-père qui, par un hasard providentiel se trouvait, en ce mois d’août 1963, parmi les milliers de personnes rassemblées sur le National Mail.
A l’époque, j’étais membre d’une fédération syndicale qui avait organisé un voyage aux USA pour rendre hommage à Rosa Parks. Notre très modeste délégation avait rencontré avec une émotion respectueuse, Rosa, cette couturière Noire qui, en 1955, en refusant de céder sa place à un Blanc dans un bus de Montgomery en Alabama, avait amorcé l’effritement de l’apartheid à l’américaine. Son arrestation et son emprisonnement avait embrasé les consciences et le mouvement pour les droits civiques allait grandir en une gigantesque vague de protestation jusqu’à ce 28 août 1963 où devait se dérouler une importante « Marche sur Washington pour l'emploi et la liberté ». La date coïncidait avec le centenaire de la proclamation d'émancipation des esclaves par Abraham Lincoln, et c’est justement sous l’immense statue de son mémorial que les marcheurs avaient rendez-vous. Dès que ma délégation eût connaissance de cette manifestation, nous nous étions entassés, pour rejoindre Washington, dans l’un des nombreux bus mis à la disposition des manifestants par les organisateurs. Ceux-ci, appelés familièrement The Big Six, chapeautés par A. Philip Randolph le président et fondateur, en 1925, du premier syndicat de travailleurs noirs des Etats-Unis, avaient bien fait les choses, la non-violence était le mot d’ordre du jour et toute la manifestation se déroula dans le calme.
Jamais je ne m’étais retrouvé dans une foule aussi dense et enthousiaste, et mon émotion était intense, j’avais vraiment l’impression de participer à un moment unique dans l’histoire de l’humanité, celui où une minorité opprimée va briser ses chaînes dans le respect des autres et sans aucun appel à la force. J’appris plus tard, que parmi les 200 à 300.000 personnes qui défilèrent depuis le Washington Monument jusqu'au Lincoln Memorial, les trois quarts étaient des noirs et un quart des "sympathisants" blancs. Visages noirs et blancs tournés avec ferveur vers l’esplanade où orateurs et intermèdes musicaux se succédaient, j’ai écouté, vibré et applaudi à des mots qui se gravaient à jamais dans mon esprit.
Martin Luther King fut le dernier orateur de la journée, son discours commença par établir un lien entre la cause des droits civiques et les promesses antérieures non tenues. Aux esclaves libérés, dit-il, la Proclamation d'émancipation de Lincoln apparut comme « l'aube joyeuse venue mettre fin à la longue nuit de leur captivité… Mais, cent ans plus tard, le Noir n’est toujours pas libre, Cent ans plus tard, la vie du Noir est encore terriblement handicapée par les menottes de la ségrégation et les chaînes de la discrimination… Quand les architectes de notre République ont magnifiquement rédigé notre Constitution de la Déclaration d’Indépendance, ils signaient un chèque dont tout Américain devait hériter. Ce chèque était une promesse qu’à tous les hommes, oui, aux Noirs comme aux Blancs, seraient garantis les droits inaliénables de la vie, de la liberté et de la quête du bonheur. Il est évident aujourd’hui que l’Amérique a manqué à ses promesses à l’égard de ses citoyens de couleur… » Puis vint la partie la plus connue de son discours, la plus émouvante, celle où il évoque son « rêve ». Selon certains, il l’improvisa à la suggestion de la chanteuse de gospel Mahalia Jackson, présente sur l’estrade, qui lui aurait chuchoté « Parle-leur de ton rêve, Martin. ». Ce qu’il fit.
Bien sûr, cinquante ans plus tard, et malgré l’accession à la plus haute charge de l’état d’un président Afro-américain, chose impensable en 1963, la situation des Noirs américains en termes socio-économiques est toujours en deçà de celle de la population blanche avec un taux de chômage deux fois supérieur. Malgré les réussites individuelles, les Noirs en tant que « groupe", sont encore loin d'être sur un pied d'égalité avec les Blancs, et la marche pour la conquérir ne s’est pas achevée en ce jour d’été 1963.
J’espère que dans quelques années vous aurez curiosité de lire l’intégralité du discours, mais aujourd’hui je veux ne retenir pour vous que cette phrase : « Je rêve qu’un jour les garçons noirs et les filles noires pourraient saisir fraternellement les mains des enfants blancs, comme s’ils étaient frères et sœurs. »
C’est ce que je vous souhaite de voir se réaliser, non seulement entre les noirs et les blancs, mais au sein de toutes les minorités. Avec la tendresse, de votre arrière-grand-père qui vous aime...
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ESCANDELIA Kalé'reporter
| Sujet: Re: Lettre ouverte à mes arrière-petits enfants Ven 30 Aoû 2013 - 21:40 | |
| - Citation :
- C’est ce que je vous souhaite de voir se réaliser, non seulement entre les noirs et les blancs, mais au sein de toutes les minorités.
j'aime cet appel à la tolérance. Ton texte, riche d'enseignement, mérite bien plus qu'une simple lecture, il devrait faire l'objet d'une leçon d'histoire dans toutes les écoles , au moins. - Citation :
- Quand les architectes de notre République ont magnifiquement rédigé notre Constitution de la Déclaration d’Indépendance, ils signaient un chèque dont tout Américain devait hériter. Ce chèque était une promesse qu’à tous les hommes, oui, aux Noirs comme aux Blancs, seraient garantis les droits inaliénables de la vie, de la liberté et de la quête du bonheur. Il est évident aujourd’hui que l’Amérique a manqué à ses promesses à l’égard de ses citoyens de couleur… »
quand à ce paragraphe, il est clair qu'il dépasse, et de loin les limites de l' Amérique. Charge à tous les citoyens du monde de la méditer, de s'en emparer et d'y remédier. | |
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Admin Admin
| Sujet: Re: Lettre ouverte à mes arrière-petits enfants Sam 31 Aoû 2013 - 9:32 | |
| C'est une belle façon de traiter la consigne, que de faire parler un témoin direct de ce discours. Que dire? Tout est dans cette lettre qui, comme le dit Escandelia mériterait bien plus qu'un simple message dans ce forum. | |
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sol-eille Maîtrise le sujet
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trainmusical Festoyeur
| Sujet: Re: Lettre ouverte à mes arrière-petits enfants Dim 1 Sep 2013 - 9:24 | |
| Je voudrais être le petit-fils de celui qui m'a écrit, c'est touchant. Très heureux aussi que tu aies abordé l’anecdote de Montgomery, enfant je fus très marqué d'apprendre cette ségrégation dans les bus des USA. Et tu n'oublies pas les autres qui ont accompagné Martin, comme Mahalia Jackson. Merci Nerwen pour ce récit historique, écrit avec ta magnifique sensibilité. PS: je rejoins également ESCANDELIA que "ton texte devrait faire l'objet d'une leçon d'histoire dans toutes les écoles" | |
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catsoniou Kalé'reporter
| Sujet: Re: Lettre ouverte à mes arrière-petits enfants Lun 2 Sep 2013 - 20:29 | |
| Il est bon de rappeler le contexte de la manifestation de août 1963 et ce qui l'avait précédé, notamment le refus de Rosa Parks de céder sa place à un Blanc. Incontestablement, du chemin a été parcouru depuis et ton récit permet de mesure combien l'Histoire progresse lentement : Martin Luther King en 1963, près de trente ans plus tard, Nelson Mandela... Très beau texte, Nerwen !!! | |
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Amanda Modératrice
| Sujet: Re: Lettre ouverte à mes arrière-petits enfants Mer 4 Sep 2013 - 15:27 | |
| Tout a été dit, Nerwen à propos de ton texte que le lis seulement aujourd'hui. Je voulais te le dire, je l'ai lu, j'ai admiré ta manière si personnelle d'aborder la consigne et je t'en remercie ! | |
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| Sujet: Re: Lettre ouverte à mes arrière-petits enfants | |
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