Pour les petits enfants et pour ceux qui le sont restés…
Ce matin là, en partant pour l’école, Souriceau a le cœur tout gonflé de fierté. C’est la première fois que Dame Souris de la Grange Bleue, sa mère, l’autorise à faire la rentrée tout seul. Pour l’occasion elle lui a tricoté une chaude écharpe de laine moelleuse car nous sommes en automne et les matinées sont encore fraîches. Le cartable solidement amarré sur les épaules, le voilà parti.
Sur son chemin il doit prendre Muscardinet, son copain de toujours, car il n’est pas question de faire la rentrée sans lui. Mais devant le logis de son ami, Dame Muscardin des Bois pleure à chaudes larmes. « Muscardinet a disparu ! hoquète-telle, les larmes dégoulinant le long de ses moustaches.
Souriceau ne s’inquiète pas outre mesure, il la sait d’humeur chagrine et anxieuse à l’excès. D’ailleurs, il se doute que la disparition de Muscardinet n’est que temporaire, et que ce dernier, n’ayant que très peu de goût pour les additions et les dictées, doit être caché quelque part en attendant que le temps passe. A midi, il refera surface, avec une bonne excuse, ayant ainsi « économisé » une demi journée de classe.
Mais Souriceau ne l’entend pas de cette oreille. Il se sent responsable de son ami et décide d’aller le chercher dans le champ de luzerne où il y a fort à parier qu’il ait trouvé refuge. En effet, Muscardinet est là, tapi dans la verdure, en train de guetter quelque chose… ou quelqu’un.
Quand Souriceau s’approche, Muscardinet sursaute et lui fait signe de se taire. Puis de la patte, il lui montre Soliman le Magnifique, le chat de la ferme voisine, profondément plongé dans une sieste matinale. Avec une lueur maline dans les yeux, Muscardinet chuchote : « Il se fait vieux, même un oiseau venant se poser sur son museau ne le réveillerait pas » Sur le même ton, Souriceau a beau lui rappeler que c’est la rentrée et que l’école les attend, le coquin le traite de rabat-joie et lui démontre qu’ils ont encore le temps de s’amuser un peu.
« Pas cap de lui tirer les moustaches ! provoque Muscardinet.
—Après, on court jusqu’à l’école ? Promis ? »
Muscardinet promet. D’ailleurs, preuve de sa bonne volonté, il montre son cartable dissimulé sous une touffe de chardons. Souriceau se débarrasse du sien et, prêt à répondre au défi, s’approche silencieusement du chat endormi. « Plus près ! l’encourage Muscardinet, PLUS près ! »
Maintenant, Souriceau est tout près du chat d’où s’échappe un rassurant sifflement de bouilloire. Il avance la patte vers les moustaches élégantes dont Soliman est si fier, encore un peu, encore un peu… et… le chat, réveillé en sursaut, fait un bond et d’une patte leste, coince au passage la queue de Souriceau. Muscardinet a fait un saut en arrière, il est prêt à détaler en abandonnant son ami sous la patte du chat. Celui-ci prend son temps, appuie délibérément sur la queue de sa proie qui croit sa dernière heure venue. Impossible de se dégager !
« Qu’est-ce que vous faites ICI, le jour de la rentrée ? Vous devriez être à l’école, à l’abri. Encore en train d’ennuyer les paisibles personnes. Vous avez fait assez de bêtises pendant les vacances. Fini de rire ! » grogne Soliman. Souriceau a si peur que des couleurs incroyables passent devant ses yeux. C’est sûr, c’est la fin !
Alors Muscardinet retrouvant son courage attire l’attention du chat et lui montre les cartables : « Nous y allons à l’école, d’ailleurs nous allons être en retard… » proteste t-il.
Le chat dresse l’oreille, il se fait sévère : « Sûr ! J’entends la cloche, vous feriez bien de vous dépêcher garnements ! » Et cela dit, il libère Souriceau qui chancelle d’émotion. « Prenez vos cartables et filez, chenapans ! Que je ne vous retrouve plus sous ma patte ! »
Souriceau et Muscardinet filent comme le vent, la cloche de l’école tintinnabule dans le lointain, avec un peu de chance ils seront dans les temps.
Là-bas, dans le champ de luzerne, Soliman le Magnifique, tel un nouveau chat de Cheshire, sourit finement. Satisfait. Il a fait sa B.A. de la journée…