J’ai glissé ma main sur la surface du vieux miroir piqueté de rouille. Accroché dans ce grenier, je ne l’avais jamais remarqué jusqu’à il y a peu.
Il régnait dans ce lieu une atmosphère mystérieuse, c’est pourquoi j’aimais y venir après que tous soient endormis dans les étages inférieurs.
La maison de mes grands-parents était spacieuse, remplie de vieux meubles et d’objets en tous genres. «d’une autre époque» disait mon père.
C’est aussi pour cela que j’aimais passer mes vacances chez eux. Et le grenier et ses vieilleries m’attiraient tout particulièrement.
Je fouillais partout, ouvrais les coffres et les tiroirs, à la recherche d’un hypothétique trésor, ou peut-être un secret depuis longtemps bien gardé.
Et puis, en poussant un portemanteau chargé de vêtements poussiéreux, j’ai remarqué ce miroir pour la première fois. J’ai enlevé le drap qui le recouvrait.
Avec son encadrement en bois doré et sa surface impressionnante, je le trouvais très beau. Depuis, mes pensées revenaient constamment vers le grenier et ce vieux miroir.
Demandant des explications à ma grand-mère, un après-midi où nous étions seules dans le grand salon, celle-ci prit un air énigmatique et après un clin d’œil me répondit :
-
Il n’y a pas de miroir dans le grenier ! Tu as dû rêver !Et en poussant un soupir elle ajouta :
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Plus je vieillis, plus je vois que ce qui ne s'évanouit pas, ce sont les rêves!Je ne pus obtenir la moindre explication supplémentaire, mais je crus voir dans son sourire un encouragement à continuer mes recherches.
Si bien que chaque soir, lorsque mes grands-parents allaient se coucher, j’attendais une heure, puis montais au grenier. Je m’installais dans un vieux fauteuil en face du miroir, essayant de comprendre pourquoi celui-ci reflétait toujours la même chose, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit : une fenêtre ouverte (celle qui se trouvait derrière moi) sur un grand champ de pâquerettes, avec un magnifique chêne en son milieu.
Une nuit, alors que la lune pleine et ronde éclairait un ciel tacheté d’étoiles, J’eus l’étrange sensation que l’heure était venue d’agir.
Après avoir admiré le miroir une dernière fois, je me suis levée du fauteuil et me suis avancée.
J’ai glissé ma main sur la surface piquetée de rouille, j’ai pris une profonde inspiration puis j’ai tendu mes doigts vers le reflet du grand chêne. Je me suis sentie aspirée par une force inconnue.
J’ai alors traversé le miroir, et j’ai su à l’instant même que ma grand-mère l’avait fait, longtemps avant moi.
Il y aurait tant à raconter sur ce qui s’est passé ensuite. Peut-être un jour, en écrirai-je un livre…
Derrière moi, sur le parquet usé, une feuille de chêne s’est posée et au coin du miroir, quelques mots sont apparus, le temps d’une nuit de pleine lune :
Le corps est un parasite de l'âme