Vincent avait sept ans, et sorti de l’inconscience heureuse de la petite enfance il se rendait compte qu’il était timide, timoré devant tout et tous. A l’école, il passait les récréations à l’écart. Quand il ne pleuvait pas, le préau désert était son refuge. Là, il faisait mine d’être très occupé, alors qu’il ne pouvait s’empêcher d’observer les autres, horde turbulente pleine de cris, de rires, de pleurs, de bagarres, toute une vie chaude et violente qui l’attirait et me terrifiait à la fois. Lorsqu’un regard tombait sur lui, il y voyait soit une indifférence qui le blessait, soit une hostilité qui lui faisait craindre le pire.
Lors d’une récréation du matin, un groupe de garçons l’avaient montré du doigt et tassé dans son coin de préau il fixait un trou à la base du mur en se disant « ah si je n’étais pas plus gros qu’une souris, je me cacherais dans ce trou ! » Alors une créature apparut devant le trou, d’apparence humaine mais aussi petite qu’une souris. Bêtement, Vincent commença par s’imaginer que c’était lui, cet être minuscule et que son souhait avait été exaucé. Mais non, ce mini homme, ce lutin, ne lui ressemblait pas du tout. Vincent s’accroupit pour voir de plus près ; instantanément l’autre disparut dans le mur. Il pointa à nouveau le bout de son nez comme Vincent reculait. Le jeu de cache-cache dura quelques minutes, interrompu par la sonnerie de fin de récréation.
L’après-midi, le manège recommença. Puis le lutin s’avança résolument vers Vincent en faisant de grands gestes, comme s’il voulait lui parler. Vincent s’allongea à terre, l’oreille tendue et il entendit la petite voix :
– Merci !
– Merci de quoi ? demanda Vincent
– Parce que tu m’as fait peur.
– Ça alors…
– Tu peux pas savoir comme j’ai été content que tu me fasses peur.
Vincent se dit que dans le monde de cette créature, tout devait être inversé. L’autre continuait de plus belle :
– Chez nous, dans le mur, je n’avais jamais peur. Pas peur de sauter du haut de cinquante centimètres, pas peur face aux rats, pas peur de l’orage. Nul, le gars, une vraie mauviette.
Vincent interrompit ce torrent d’absurdités :
– Ben au contraire, t’es vachement courageux. C’est moi qui suis nul, j’ai peur de tout !
– Courageux, oui, maintenant, depuis que tu m’as flanqué la frousse quand je suis sorti du trou. Je me suis dit « puisque j’ai peur, je suis sur la bonne voie, juste un petit effort et ça y est. » Et là, je suis allé vers toi. C’est ça le courage ; comme l’a dit le fondateur de notre communauté de lutins : « J'ai appris que le courage n'est pas l'absence de peur, mais la capacité de la vaincre."
Voilà qui commençait à fatiguer Vincent, qui soupira :
– Excuse, mais tu m’embrouilles et ta phrase avec la capacité, rien pigé.
– Pourtant c’est clair dit le lutin : ça veut dire que si tu fais quelque chose sans avoir peur, c’est pas du courage. Alors puisque tu dis as tu as peur de tout, tu as fait la moitié du chemin. Réfléchis bien à ça. Salut et à bientôt !
Et il disparut dans le trou du mur.
Vincent médita les paroles si étranges de la curieuse créature, se disant : « j’ai peur, donc je suis presque courageux… si je fais quelques pas pour aller me mêler aux autres dans la cour, là, je serai vraiment courageux. Mais non, je vais attendre quelque chose qui me fasse encore plus peur, pour être encore plus courageux. »
Le lendemain, il y eut une bagarre entre les deux garçons les plus costauds de l’école, de vrais petits caïds.
« Voilà l’occasion, va les séparer » se dit Vincent… Ouais, pour recevoir des coups des deux côtés… raison de plus… Mais non, je veux être encore plus courageux, j’attends encore. »
Quelques jours plus tard un gros chien s'introduisit dans la cour et montra les dents, menaçant un groupe de filles terrifiées, qui appelèrent au secours. Mais même les deux caïds n’osaient approcher. Cette fois Vincent fonça, regarda l’animal dans les yeux s’efforçant de se montrer plus menaçant que lui. L’animal grogna, puis baissa la tête et s’éloigna. Toute l’école regardait Vincent avec autant de surprise que d’admiration.
Lorsque Vincent revit le lutin, ce dernier s’exclama :
– J’ai tout vu Bravo !
– C’est grâce à toi, répondit Vincent. Je n’aurai jamais cru faire ça un jour.
Et le lutin malicieux :
- Cela semble toujours impossible, jusqu'à ce qu'on le fasse.