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La zizanie à Vergounieux-les-Piconelles
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La nuit allait tomber quand le perroquet se mit à s'agiter. il avait décidé de faire son tour habituel, comme tous les jours, comme toute la journée, comme tous les soirs. Le même rite. Il s'envolait de la fenêtre du haut, faisait le tour de la place, se posait quelques instants sur la margelle de la fontaine, avalait quelques gouttes d'eau en plongeant son bec arrondi dans le bassin, recommençait le tour de la place, faisant voler quelques plumes noires qui virevoltaient lugubrement dans le soleil couchant. Puis, il se posait sur la branche la plus haute de la vieille vigne vierge décharnée et commençait à débiter son crain-crain qui agaçait tout le monde :
— Craaahh ! Crrouuhaaah ! allez vas-y mon pote rit !
silence de quelques secondes.
— Craaahh ! Crrouuhaaah ! allez vas-y mon pote rit !
C'était un cacatoès à plumage noir et à chaque cri strident, il dressait sa crête de plume sur sa tête, comme pour nous narguer.
De l'autre côté de la place, qui n'était pas bien grande dans ce petit village, juste en face, il y avait une droguerie à l'ancienne. Chaque jour, le droguiste sortait son immense cage à oiseaux dans laquelle trônait un magnifique ara, qui, immanquablement, répondait au volatile d'en face :
— Crocrocro ! criiicruuu! Je suis le ara qui rit !
— Crocrocro ! criiicruuu! Je suis le ara qui rit !
Attablés à la terrasse du bistrot « l'oiseau bleu », Ernest, Jules, et Gustave, qui sirotaient leur troisième pastis avant de passer à du plus sérieux, s'écriaient en choeur :
— Vos gueules, les sales bêtes !
Le maire, artiste peintre animalier, avait tenté à plusieurs reprises de trouver une solution à la cacophonie perroquéenne, sans toutefois parvenir à un consensus de ses administrés. En effet, le village était divisé sur le sujet. Il faut dire que le manège des deux perroquets avait fait l'objet d'un reportage sur M6 dans l'émission « Zone interdite » consacrée à la protection des perroquets. Depuis lors, les touristes affluaient par cars entiers, faisant la fortune du petit commerce local. La poterie vendait des tonnes de babioles sur le thème du perroquet, laissant croire à une production locale, alors que tout venait de Chine tandis que le potier faisait semblant de travailler au tour dans son atelier pour appâter le chaland.
En face, le droguiste accumulait les euros avec des « produits à l'ancienne » d'une production qui n'avait de « locale » que le mot. D'ailleurs, lui et le potier, avait les mêmes fournisseurs chinois.
Le bistrot avait agrandi sa terrasse, la boucherie faisait traiteur et proposait des sandwiches aux touristes, les cultivateurs du lieu venaient vendre tous les jours leur production, le maire avait levé de nouvelles taxes, la pissotière avait été remplacée par du matériel Decaux haut-de-gamme. Bref, deux perroquets qui battaient des ailes, rapportaient bien plus que des éoliennes.
Cependant, tout cela ne faisait pas que des heureux. Les vieilles fermes avaient été rachetées par des riches citadins en retraite, qui, installés à la campagne, n'aspiraient qu'au calme bucolique de la nature. Ils ne supportaient plus ni les touristes, ni ces satanés perroquets. Forts de leur expérience de la ville, ils montaient un groupe de pression (non pas de bière..), et de préparer une liste dissidente pour les élections municipales à venir.
Bref, Vergounieux-les-Piconelles, devenait Clochemerle Babylone…
C'est alors qu'arriva le chasseur de primes.
Avec son ch'val et son grand chapeau
Avec son flingue et son grand lasso
Avec ses bottes et son vieux banjo
Il se dirigea vers la Poterie, empoigna Susy la femme du potier
la coinça près du tour de potier et très méchamment lui dit :
"Si tu m'donnes pas ton perroquet, en moins de deux,
Je vais t'couper en deux"
Puis il l'empoigna...
Et alors ...
Ben, il la ficela...
Et alors...
Il l'a mis sous le billot.
Ensuite, il alla chez le droguiste :
"Donne-moi ton ara, eh, boudin !
Ou j'vais t'balancer sous l'train"
Puis il l'empoigna...
Et alors ...
Il le ficela...
Et alors...
Sur les rails il le fit rouler
Et alors ...
Le train arrivait... les copains
Et alors... et alors ...
Hé bé !
Le Maire est arrivé, sans se presser,
Avec sa 2 CV et son grand drapeau
Avec son écharpe et son jeu de loto
Avec ses bottes et son vieux frigo
et il a dit au chasseur de primes
Je voudrais du Fred Astaire
Revoir un Latécoère
Je voudrais toujours te plaire
Dans mon jardin d'hiver
Je veux déjeuner par terre
Comme au long des golfes clairs
T'embrasser les yeux ouverts
Dans mon jardin d'hiver
Et la village ébahi
se rendit compte que son maire venait de faire son coming out….
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