Un long jeudi après-midi
C'était un jeudi après-midi, au temps où les jeudis ne tombaient pas encore un mercredi, c'est-à-dire un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, mais dont se souviennent, en revanche parfaitement les moins de 20 dents ; un jeudi aussi long et ennuyeux qu'une longue phrase de Marcel Proust, vous savez, de ces phrases qui commencent ici et se terminent là-bas, après avoir parcouru de multiples détours par des adjectifs qualificatifs, des mots peu usités, des descriptions interminables, des circonvolutions littéraires, des tournures recherchées, d'autres totalement perdus, ou égarés dans des addenda (qu'il ne faut pas confondre avec des agendas, ce qui risquerait de se produire si par impossible, et à Dieu ne plaise, ce texte se trouvait déclamé par un lecteur improbable et qu'alors à cause de l'assonance, il se pourrait que la confusion s'installa ce qui, remarquons-le au passage, ne risque pas de se produire dans la mesure où le texte et lu à voix basse, en dehors évidemment des périodes électorales où chaque voix compte, et fort heureusement c'est le cas sur Kaléïdoplumes, non pas que les voix comptent, mais qu'elles soient basses), et autres errata (qu'il ne faudrait pas non plus confondre avec le rata - qui n'est pas de la soupe, ni de la m... mais ça viendra, comme dit la chanson des soudards avinés - et encore moins avec "il rata", puisqu'ici il ne saurait être question de rater le coche de cette phrase sans point ni rature, ce que nous nous efforçons de faire en vous narrant ce souvenir d'un jeudi après-midi aussi long qu'un jour sans pain, et on remarquera ici à quel point l'auteur tente une approche métaphorique de son texte, alors qu'il évoque une époque où il était bien jeune encore, et où ces figures de style ne lui avaient pas encore été enseignées dans l'école relativement bourgeoise où il poursuivait des études primaires, tentant vainement de faire bonne figure parmi les garçons de son âge, car il faut vous dire qu'à l'époque la mixité n'était pas encore de mise dans les établissements scolaires français, alors que plus tard, il en fût autrement et à présent, c'est inutile de s'y attarder plus longtemps, chacun sait que la mixité est devenue monnaie courante au pays de Jules Ferry, et quand je dis monnaie courante c'est finalement une expression mal à propos puisque l'école est gratuite grâce justement à ce Jules Ferry qui n'était pas boat, comprenne qui pourra), qui, rappelons-le au passage, fut l'homme politique qui rendit obligatoire la scolarité, et qui plus est laïque, pour les enfants du beau pays de France, ce qui nous semble une évidence aujourd'hui mais ne le fut pas toujours à une époque désormais révolue, cette époque où les jeudis après-midi il n'y avait pas classe, comme je l'ai indiqué précédemment, et où, d'après le souvenir que j'en ai, l'ennui ne tardait pas à s'installer dans la petite tête blonde que j'étais, mais dont je ferai observer au passage qu'elle n'était pas blonde du tout, mais plutôt châtain clair, cependant , chacun le sait, il est d'usage de dire petites têtes blondes lorsque l'on parle d'un enfant de ces temps révolus où les jeudis ne tombaient pas un mercredi, et qui malheureusement ne reviendront plus, ce que l'on peut déplorer tellement, en ce temps-là, c'était une époque où la planète ne se réchauffait pas encore, ou le plein emploi s'annonçait à coups de trompettes tonitruantes, où la corne d'abondance de la richesse absolue déverserait pour des lustres et même des éternités, des biens matériels que tout un chacun rêvait de s'approprier, alors que les années qui avaient précédé furent remplies de tristesse, de guerres, de misère, tandis qu'à présent il n'en est plus de même, chacun peut aisément s'en rendre compte, il suffit pour cela d'observer quelque peu autour de soi, de s'intéresser un minimum à l'histoire, et l'on constatera aisément qu'il n'y a pas véritablement de raison de se plaindre, qu'ailleurs les choses sont bien souvent pire, qu'avant on était victime de terribles épidémies, alors qu'aujourd'hui il n'en est plus de même, aujourd'hui ou les jeudis tombent un mercredi, si bien que non seulement ce n'est plus pareil qu'autrefois mais encore c'est tout différent, et que ce jeudi-là, justement, l'auteur de ces lignes s'en souvient encore, il était allé chercher dans sa chambre un Album de Tintin, de ceux que l'on peut lire de 7 à 77 ans, et il venait d'avoir 7 ans, et la perspective d'en avoir un jour 77 lui paraissait tellement lointaine qu'il se demandait même s'il existerait encore des humains aussi âgés sur la planète , car il n'avait pour exemple que son grand-père, mort à 70 ans, des suites de ce que l'on appelait déjà une longue maladie, mais à laquelle fort heureusement les albums de Tintin ne faisaient guère allusion, est d'ailleurs le jeune reporter paraissait immortel, quasiment hors d'âge, toujours aussi svelte, sportif, irréprochable en tous points, ne s'encombrant pas d'une femme dans la vie, car on sait bien qu'à sept ans, les filles c'est vraiment des nazes, avec leur jeu de poupées, leur dînette, leurs minauderies, et tout ce qui fait que le sexe féminin n'a strictement aucun intérêt, sauf la mère évidemment, sans laquelle il n'y aurait pas quelqu'un pour acheter les albums de Tintin, lesquels, soit dit en passant, sont toujours en bonne place dans la bibliothèque de l'adulte qu'il est devenu depuis, il ne pourrait s'en séparer, ce serait un peu comme s'arracher un bras, le bras droit justement, celui qu'il était devenu pour son patron, qui répétait souvent, vous êtes mon bras droit, car il faut dire qu'il n'était pas particulièrement gauche, et malgré une scolarité plus que moyenne, du temps où les mercredis tombaient un jeudi, il n'en avait pas moins réussi une brillante carrière dans une petite ville de province qui fleurait bon le terroir, la glaise aux chaussures, et il aurait mieux valu qu'il mette des bottes pour visiter les fermes éloignées en compagnie de M. le sous-préfet, qui, comme au temps où les mercredis tombaient un jeudi, aimait à se promener au champ, et ici il est nécessaire que je porte une précision pour les jeunes têtes blondes, ou d'une autre couleur, d'une autre teinte, c'est comme on voudra, précision qui consiste à attirer leur attention sur le fait qu'il ne faudrait pas confondre au champ et « Auchan », qui est l'enseigne d'une grande surface, car en effet ce serait faire un anachronisme malheureux, le signe d'un manque de culture générale, car l'enseigne « Auchan » n'existait pas à l'époque où les jeudis étaient comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, or, ce texte qui relate un souvenir d'enfance, souhaite également se montrer didactique et profiter de l'occasion pour dispenser un enseignement qui, mon bon monsieur, ma bonne dame, tend à foutre le camp, tellement, il faut bien le reconnaître, les choses ne sont plus comme avant, comme au temps où les jeudis ne tombaient pas encore un mercredi.