L'ours

Tu vois, petit, ici, c’est le territoire de l’ours. De l’autre côté de la montagne, c’est l’Espagne. Il ne connait pas de frontière l’ours. Il hiberne là-bas, et à son réveil, il parcourt ces bois et descend même, parfois,  aux limites du village.
Je l’ai rencontré trois fois, l’ours. Trois fois en une vie, c’est peu, mais à chaque fois, j’ai cru que c’était la dernière.
Oh! Pas parce que je craignais pour ma vie, il était tout aussi effrayé que moi. Non! C’était parce qu’on le sait en danger. Tout le monde ne veut pas de l’ours ici. Les légendes lui prêtent des méfaits en tout genre. Mes parents ne croyaient pas à ces sornettes, eux qui vivaient depuis toujours avec l’ours. Je n’ai jamais tremblé à l’idée de me trouver en face de  la bête, je l’espérais même.

La première fois que je l’ai vu, j’accompagnais mon père à la grange. Il y gardait les moutons tout l’été. J’avais dix ans, l’âge où l’on apprend-disait-il-. Nous étions ici-même, là où tu te trouves à l’instant. Mon père s’est arrêté brusquement et ma dit “Chut, Regarde!”.
L’ours se tenait juste derrière cet arbre, là. J’ai crié, je crois que c’était de surprise!. Il a eu peur, il a détalé et s’est enfoncé dans le sous-bois, par là.
Je l’ai trouvé grand, très grand. Il avait le pelage marron foncé. Je n’ai pas pu en voir plus.

La seconde fois, j’avais 25 ans. C’était un peu plus haut. J’étais parti à l’aurore, je voulais atteindre le pic que tu vois là, avant midi.
Il n’a pas senti ma présence, j’avais le vent du sud qui me protégeait. Il était contre un rocher. Il mangeait, il avait égorgé une brebis égarée et s'était déjà attaqué à son arrière train. Je suis resté caché derrière une souche d’arbre, à l’observer pendant plusieurs minutes. Je savais le moment exceptionnel, cela ne se reproduirait peut être plus jamais. Je n’oublierai jamais.

La dernière fois que je l’ai vu, je n’oublierai jamais non plus. C’était il y a dix ans. Plus bas, dans le contrefort rocheux. Le chien a grogné, puis hurlé à la mort. Je me suis approché du ravin. Il était là, au  fond, étendu de tout son long. Il était mort depuis peu. Tu me croiras ou pas, petit, mais ce jour là, malgré mes 60 ans de vie qui ne m’ont pas épargnées, ben j’ai pleuré.
C’était pas le même ours, mais c’était l’ours des Pyrénées, le dernier.
Depuis, on a réintroduit un autre ours, puis un autre. Il y a toujours des gens qui sont pour, des gens qui sont contre.

Mais tu vois, petit, ici, le territoire est grand. Regarde, il demande qu’à être partagé.
Allez viens, on rentre, ta mère va s’inquiéter!

Très joli texte, on sent que tu aimes les ours.
Même pas peur, Cassy ?

ça sent bon le pays, ce texte

j'espère que les ours referont un jour leur territoire, et qu'ils pourront y vivre en paix... mais c'est pas gagné, ça...

Bonne question d'Amanda, pas peur des ours?

En tout cas très beau texte et un magnifique hommage à ces plantigrades en espérant comme Pati le retour dans leur territoire en toute liberté.

Il reste encore des ours dans le Pyrénées. Mon compagnon l'a croisé une fois il y a 3 ans. Moi, j'en ai pour preuve ces quelques photos que j'ai prise en rando.

Un beau plaidoyer en faveur de l'ours.

Forcément ton texte me fait réagir, Cassy. Béarn, Bigorre, même combat !
Les ours sont accusés de tous les maux, de tuer les brebis, de décimer les troupeaux...
Mais la montagne est vaste et appartient à tous, à plus forte raison à ceux qui la maîtrisent parfaitement !
Et puis les troupeaux ne sont plus surveillés comme jadis. Les bergers qui passent l'été dans les estives sont peu nombreux, les patous qui protègent des ours aussi...

Chacun a sa place et je ne crois pas que celle des ours soit confinée dans les zoos

Merci Cassy pour ce beau texte en faveur des ours. Il rejoint l'article que j'avais écrit sur le blog pour la défense du loup. Accepter leur présence nous fait retrouver la sagesse de nos anciens...

Voici ce que je connais de l'ours : cette image du film


L'image des restes de brebis tempère l'amour immodéré pour le plantigrade . Y a-t-il un juste milieu , une cohabitation possible entre ours et bergers ?
A la décharge de la passion dévorante de l'ours pour la chair tendre des ovins : nous aussi, on aime le gigot accompagné de haricots. Nous traite-t-on de criminels ?

L'ours attaque rarement les moutons. Il le fait lorsqu'il est poussé dans ces retranchements, lorsqu'il n'a pas trouvé de nourriture et qu'il a très faim. De plus il s'attaque en général à des animaux isolés.
Il y a moins de bergers, les troupeaux sont regroupés et donc de plus en plus grands, plus difficile à surveiller. Les chiens de berger, lorsqu'il y en a, sont très dissuasifs.
il ne faut donc pas tout mettre sur le dos de l'ours. L'animal qu'il attaque est parfois déjà mort (tombé dans un ravin) ou blessé, et l'ours laisse sa proie sur place, il ne mange que pour se rassasier, d'autres animaux passent derrière.
L'ours et le berger peuvent vivre ensemble, ils le faisaient avant.
Il faut savoir aussi que lorsqu'on trouve un mouton mort, on prévient les gendarmes qui identifient la bête et dédommagent le propriétaire.
L'ours n'a jamais attaqué l'homme, du moins si l'homme ne le menace pas.
Son territoire est immense, il cohabite très bien avec l'homme. Si vous le rencontrez, ne pas fuir, faire du bruit pour le faire fuir. Ne pas le menacer, ne pas s'approcher.
Certains hommes se croyant en terrain conquis, sont bien plus dangereux que l'ours!

Merci Cassy pour ces intéressantes précisions

J'avais lu qu'au Canada, des promeneurs avaient sur eux une clochette pour avertir l'ours. Il y a les pour et les contres, mais je ne sais pas plus.

Citation :

Mais la montagne est vaste et appartient à tous,

Oui, l'homme a la fâcheuse tendance à tout s'approprier.

Citation :

nous aussi, on aime le gigot accompagné de haricots. Nous traite-t-on de criminels ?

Certains oui,
Belle défense de l'ours

Je me suis toujours demandé pourquoi l'ours a si bonne presse auprès des fabricants de jouets( ah le nounours de mon enfance...) et fait si peur en vrai! Tu défends très bien la cause des ours ! Merci pour eux!

J'ai pensé à la même chose que Bruyère.
Je me souviens d'un gros ours en peluche que j'aimais beaucoup, et auquel j'attribuais un caractère tendre et attentionné. Je l'apellais Calinca.
Et lorsqu'on voit un ours, l'image de l'animal intelligent est plus facile à voir que celle d'un l'animal féroce.

Le passage de la dernière rencontre est celle qui m'a donné des frissons.

Merci Cassy.

Vivant parce que vécu !

fascinant ce texte Cassy, je le decouvre en retard et me rend compte que j'ai utilise une expression similaire pour ma fin, j'ai pas copie, jure!

choisir une espece en voie de disparition ferait une excellente consigne, non?

en tout cas, merci pour les ours!