Plumentête Kalé'reporter
| Sujet: Emprisonnée Dim 2 Mai 2010 - 15:41 | |
| Tu vois petit, ces arbres là-haut, vieux, secs et coupés. Ils ont la tête tranchée, ils sont morts. Je suis comme eux, morte de l’intérieur et grise. J’ai toujours habité ici, je n’en suis jamais partie de cette vallée que vous aimez tant. Avec ces montagnes si pelées et si hautes qu’elles barrent l’horizon et l’avenir ! Elles ont barré le mien à tout jamais et je ne les ai jamais dépassées. Je ne leur ai jamais pardonné non plus, pas plus que je n’ai pardonné à ma famille. Tu ne le savais pas ça petit, hein ?
Moi je ne voulais pas rester ici dans ce village qui voyait partir toute sa jeunesse et toute sa vie. Je voulais aller à la ville et poursuivre mes études, l’instituteur disait que j’étais douée, que je pourrais même passer mon baccalauréat. A l’époque, c’était quelque chose le baccalauréat tu sais. Et moi j’y croyais très fort, je savais de quoi j’étais capable et je ne ménageais pas ma peine. J’étais toujours la première de ma classe et j’en étais fière. Les parents étaient contents, ma mère rêvait avec moi d’un autre avenir, d’une vie moins pénible que la sienne. Seulement voilà, mon frère a voulu partir lui aussi et il l’a fait. Pourtant il était moins bon que moi à l’école, moins appliqué et bien moins travailleur aussi. C’est pour ça qu’il a voulu partir d’ailleurs, pour ne pas s’épuiser à la tâche dans cette ferme de moyenne montagne. C’était un garçon et au nom de son sexe soi disant supérieur, il a eu le droit de décider de son avenir. Il est parti au lycée et a fini par obtenir ce bac si important à mes yeux. Et il a eu une place dans l’administration du côté de Pau.
La ferme n’avait plus d’héritier alors c’est sur moi que mon père a mis ses espoirs et son honneur. Je n’eus pas d’autre choix que de rester, de me trouver un fiancé qui voulait bien rester à la terre et s’occuper de la ferme. C’est comme ça que j’ai épousé ton grand-père, il n’imaginait pas la vie ailleurs qu’ici, pour lui rien n’était plus beau que les Pyrénées et notre vallée. Les plus beaux chants étaient celui des torrents et des bergers, Mozart et Chopin ça n’existait pas pour lui. Quand j’essayais de lui en parler, il riait et me disait que j’avais des goûts de bourgeoise, il ne supportait même pas que je lise à la veillée!
C’est comme ça que j’ai renoncé à mes ambitions, renoncé à me cultiver, apprendre et quitter ce maudit pays. C’est comme ça que pour moi ces montagnes sont devenues ma prison et ces arbres étêtés mon reflet ; comme ça que j’ai renoncé à ma vie, petit. | |
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kz Kalé'reporter
| Sujet: re : emprisonnée Dim 2 Mai 2010 - 21:17 | |
| Difficile cette différence de traitement entre les garçons et les filles. Le texte est intéressant, éclairé par le premier. | |
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sprite Kalé'reporter
| Sujet: Re: Emprisonnée Mer 5 Mai 2010 - 15:02 | |
| Que d'echos en moi sur ces gens de la terre et cette appartenance forcee... Contente de voir que ta plume s'est derouillee ces derniers temps. Bravo! | |
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sohy83 Maîtrise le sujet
| Sujet: Re: Emprisonnée Jeu 6 Mai 2010 - 0:19 | |
| Que de regrets ... - Plumentête a écrit:
Avec ces montagnes si pelées et si hautes qu’elles barrent l’horizon et l’avenir !
c'est peut-être pour ça que j'ai toujours eu du mal avec la montagne que j'ai réussi à adopter depuis peu ... Elle m'impressionnait et me faisait presque peur ... | |
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