- Tu vois petit, la montagne, en face ? Hé ! Bien ! Elle bouche l'horizon ! A part cela, pas de doute, elle est très belle !
- Çà veut dire quoi, elle bouche l'horizon ?
- Rien, sinon que derrière la montagne, il y a une autre vallée, mais qu'on ne la voit pas.
- C'est normal, puisque la montagne la cache !
- Bien sûr que c'est normal, mais parfois on aimerait voir au delà, contempler plus loin, et c'est quand même cela la difficulté de la montagne, il n'y a pas à dire, elle bouche l'horizon !
- Oui, mais quand on marche en forêt, c'est pareil, même peut-être pire, on voit à peine à quelques centaines de mètres.
- Tu as raison petit ! Tu as raison ! Mais c'est moins grandiose, du coup, on fait moins attention.
- Pourquoi tu voudrais voir au-delà de l'horizon, Papé ?
- Je ne sais pas, peut-être est-ce que cela a à voir avec mon âge !
- Tu parles drôlement aujourd'hui! Je ne comprends rien à ce que tu racontes !
- Ce n'est pas grave ! Tu sais un jour, j'étais au bord de la mer et on voyait loin, très loin; si loin que j'avais l'impression de voir la courbure de la terre et j'étais tout surpris. Je me demandais comment cela se faisait que l'eau ne coulait pas, là-bas tout au bout de l'horizon.
Bien sûr je savais que c'était à cause de la gravitation, mais quand même, cela m'étonnait ! On a beau comprendre plus ou moins ce que la gravitation veut dire ; mais, voir de l'eau qui ne coule pas quand il y a une pente, cela fait drôle !
- Dis, Papé, pourquoi les souches des arbres sont-elles si hautes ?
- Peut-être y-a-t-il eu une tempête et qu'en dégageant, les bûcherons se sont contentés de couper juste en dessous de là où l'arbre s'était brisé ! Va savoir ! Toujours est-il, que les troncs sont un peu comme des veilleurs ; ils attendent - en silence. Tu crois qu'on les dérange ?
- Pourquoi tu dis ça ?
- Parce que nous sommes là à bavarder, tous les deux, et que cela pourrait les gêner !
- Papé ! Tu dis que des bêtises aujourd'hui ! Déranger des souches mortes, tu crois vraiment que c'est possible, toi ?
- En fait, je n'en sais rien, mais à les regarder, comme cela, immobiles, tournées vers la vallée, j'ai l'impression qu'elles sont vivantes et que, elles aussi, elles attendent de voir au-delà de l'horizon.
- Mais ce n'est que du bois mort, Papé.
- N'empêche ! Qui te dis que pour les souches, il n'y a pas une vie après la mort ?
- Je ne sais pas !
- Hé ! Bien, tu vois, petit, aujourd'hui, cela me fait du bien de les voir ces souches qui semblent scruter l'horizon avec patience !
- Ah, bon ? Pourquoi ?
- Peut-être parce qu'elles savent attendre et que ce n'est pas si simple ! En fait, il me semble qu'elles ont compris qu'il y a un au-delà de l'horizon, mais que cela ne sert pas grand chose d'en parler, qu'il suffit d'y croire. Allez ! Viens ! Il faut redescendre, sinon Mémé va s'inquiéter et on va se faire rouspéter !
- Au revoir, les souches !