Dimanche, 15 juillet 1962
Cher Akram,
Je n'ai pas eu le temps de te dire au revoir. Il fallait qu'on prenne ce bateau sinon nous risquions de ne pas pouvoir partir et d'avoir plus de bien confisqués, d'après mon père.
Je t'écris du pont du bateau où nos malles sont entassés. C'est pas confortable du tout mais au moins je peux voir la Méditerranée tout mon soul. C'est beau cette étendue toute bleue. C'est bizarre d'être au milieu de toute cette eau, très différent de quand on la regardait depuis la plage.
Tu te souviens comme on avait rêver de la traverser ensemble pour aller voir ces villes dont on nous parlait à l'école. J'espère que tu pourras venir m'y rejoindre un jour. Je ne sais pas combien de temps nous allons y rester. Ma mère refuse de me répondre chaque fois que je lui pose une question. Tout ce qu'elle dit c'est que ça sera la volonté de Dieu. En fait, il vaut mieux que je reste pas dans le chemin des adultes, car c'est un moyen sur de se faire houspiller. En fait, ils repondent encore plus a cote que d'habitude!
Tu peux pas savoir comme tu me manques. Je t'ai laissé mon jeu de billes dans le trou du tronc de notre cachette. Tu y trouveras aussi le petit canif que m'avait donné mon grand-père, je sais qu'il te faisait envie et moi, à la ville, je pourrais plus tailler de sifflets.
Tu diras au revoir de ma part à la vieille Djamila et tu lui diras que ses biscuits aux amandes vont beaucoup me manquer, ses cornes de gazelles. Ses histoires sur la Kahina aussi et les légendes berbères. Je vais essayer d'écrire celles dont je me souviens dans un cahier à carreau. J'ai peur de les oublier.
N'oublies pas non plus de saluer Nacer, le boiteux. Tu as de la chance de pouvoir apprendre le Soufisme avec lui. Je n'ai jamais osé dire à mes parents qu'il nous enseignait l'Islam a sa manière. Dommage! S'ils savaient écouter ils comprendraient mieux les choses, je crois. J'espère que je trouverais d'autres Soufi sur ma route. Peut-être que tu pourras écrire ses histoires et me les envoyer même que tu n'aimes pas bien écrire.
S'il te plait, envoies-moi, une petite carte de temps en temps. En attendant de recevoir ma vraie adresse tu peux m'écrire à Poste Restante No 2288, Bureau de Poste Principale de Marseille.
Il n'y a presque plus de lumière. Je vais devoir terminer. C'est le plus long que j'ai jamais écrit. Ah mon pote! mon frère! mon ami! Je n'ai jamais eu besoin avant. Ton rire va me manquer. Et nos aventures dans les collines.
Je te serre la main.
A bientôt, bientôt j'espère.
Ton pote Hamin.