Kaléïdoplumes 2 : 2010 / 2013
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 L'âme acérée

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catsoniou
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MessageSujet: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitimeVen 27 Aoû 2010 - 12:39

I-
"C'était sur que ça se terminerait comme ça!" pensait Jeanne en contemplant le rougeoiement du coucher de soleil au-dessus des collines bleues du Mâconnais.

"Bizarre quand même cette manie d'acheter tant de couteaux. Et par catalogue en plus. Bien qu'il prétendait ne plus y voir grand-chose, il arrivait encore à remplir ses bons de commandes d'une écriture ma foi qu'il avait fort belle autrefois, mais un peu chevrotante vers la fin".

"Et la fin, nous y voilà! Enfin!" se répétait Jeanne, qui avait ressenti plus un certain soulagement à la mort de son géniteur que la tristesse de perdre un être cher. Cher, oui, il l'avait été dans un autrefois d'avant la déchirure avec l'infâmille.

Les bons souvenirs pouvaient se mettre à remonter un à un maintenant et ils se trouvaient plus nombreux qu'elle avait osé l'espérer. La plupart ayant trait aux arbres et aux animaux. Ces petits moments furtifs qu'il avait osé laissé échapper par mégarde, révélant l'homme sensible qu'il aurait pu être, s'il avait seulement osé.

Mais on se doit d'être dur dans ces campagnes où s'égraine l'oubli. 'C'est un/une dure!', un compliment dans des bouches répondant à des cerveaux embrigadés par des générations d'idées reçues. Alors dur, il se faisait en égorgeant les poulets, dépeçant les lapins, tenant l'écuelle pour récupérer le sang giclant à flot de la carotide du dernier cochon qu'un boucher itinérant venait d'achever au milieu de cris d'une détresse que Jeanne recevait en plein plexus cardiaque. Elle emmagasinait tout ça dans un espace 'La vie, c'est ça' qu'elle ne questionnerait que beaucoup plus tard, quand elle aurait quitté ces lieux, cette maison de plein pied à la porte grande ouverte qui invite immédiatement le seuil franchi, à courir dans les prés et les bois, à perdre haleine dans une enfance à la menthe sauvage.

Jeanne s'arracha aux rougeoiements bordés d'or fin qui sombraient peu à peu dans des mauves et gris sombres nuités.

-'C'est fini! Enfin! On devrait toujours commencer par la fin. Surtout quand on ne sait pas le début de l'histoire', se dit-elle en engeançant dans sa tête les mots qu'elle déposerait plus tard dans un cahier à carreaux.

Elle ramassa l'opinel ensanglanté gisant encore sur la table de bois bancale à coté de l'évier extérieur et lentement ouvrit le robinet. Elle regarda pensivement le fin filet argenté diluer ce rouge sombre dans un rose transparent qui disparaissait en gargouillant sous la grille d'évacuation.

Les chauves-souris avaient déjà commencé leur ballet journalier quand elle rentra ayant précautionneusement replié l'opinel après en avoir séché la lame sur son short en coton.
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catsoniou
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MessageSujet: Re: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitimeVen 27 Aoû 2010 - 13:00

sprite a écrit :

Citation :
l'infâmille.
euh ?

Hou là ! v'là un mot qui m'interpelle et pour lequel google s'avère dans l'incapacité de me donner une signification claire . Alors, je me dis qu'il s'agit d'une infâme tribu familiale qui doit s'évertuer à cacher pas mal de cadavres plus ou moins bien dissimulés dans les placards ... noooon ! je me trompe ?
Citation :

Alors dur, il se faisait en égorgeant les poulets, dépeçant les lapins, tenant l'écuelle pour récupérer le sang giclant à flot de la carotide du dernier cochon qu'un boucher itinérant venait d'achever au milieu de cris d'une détresse

Voilà une histoire qui commence de fort belle façon et question :
s'ilen reste aux bestiaux sus nommés, c'est dommage pour eux , mais , considérons que c'est un moindre mal .
Combien de temps allons-nous rester en haleine ?
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MessageSujet: Re: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitimeVen 27 Aoû 2010 - 16:32

Dès la première ligne, j'ai été scotchée....
Scotchée je suis restée, d'une part par le suspens et, d'autre part, par ton français....
Français quand tu nous tiens! Stp continue d'écrire! C'est si bon de te lire...
De l'émotion, déjà, mais maîtrisée, et des mots superbes...

Enfin, c'est mon avis et il n'engage que moi coucou
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MessageSujet: Re: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitimeDim 29 Aoû 2010 - 14:59

II-

J'en ai toujours eu un dans ma poche. Comme mon père. Un outil à tout faire. Toujours bien aiguisé. La lame s'usait vite. C'était entre mon frère et moi à celui qui l'aurait la plus affinée.

Quelquefois, après son passage sur la meule, en tombait un filet d'argent aussi mince que ces feuilles d'or martelée à un millimième d'épaisseur qui recouvrent des madones en bois dans des églises aux allures de cathédrales.

Les métaux? j'aurais bien aimé les étudier: … des ores aux alliages, des câbles aux plaques d'acier, de l'aluminium à l'étain ...

J'aimais regarder rougeoyer le fer sur les braises, le porter sur l'enclume pour le marteler à mon aise, le soumettre au désir de formes qui s'effilaient dans une imagination de lames incomparables.

J'aurais bien aimé être électricien aussi. Ou menuisier-charpentier. Soudeur aussi peut-être. Même ingénieur à une autre époque. Mais la guerre est venu alors je suis resté paysan. Je me suis marié et j'ai eu des enfants. J'ai quitté la maison à côté des bois pour une prêt d'un bourg de village où je suis longtemps demeuré l'étranger.
J'ai abandonné la chasse qu'en fait je ne pratiquais qu'à contre cœur. Je ne me suis resservi de ma carabine qu'une fois pour abattre un renard galeux et chapardeur qui avait enfoui ses proies en provenance directe de notre poulailler dans la grange à foin. Je l'ai attendu au crépuscule et à bout portant lui ai éclaté les entrailles. Le téléphone arabe étant ce qu'il est l'histoire a vite fait le tour que j'avais étendu raide plusieurs goupils à coups de bâtons.

Je serais bien devenu vétérinaire aussi. Mais on n'a pas le droit de rêver à ça quand on engraisse des bêtes pour la boucherie. Une vache malade c'est avant tout un trou potentiel dans le chiffre d'affaire. La compagnie des chiens m'a bien manqué mais ma femme n'en voulait pas un attaché, comme dans ces cours de ferme, où des ères de terre battue en demi-cercle délimitaient le parcours en bout de chaîne, que des bâtards aboyant arpentaient d'un bout à l'autre de leur vie.

Il y a bien eu la douceur d'une chatte qui m'apportait un à un dans sa gueule, les chatons de sa dernière portée que je reconnaissais d'une caresse prêt de l'écuelle à l'entrée de l'étable où je lui versais sa portion quotidienne de lait. Ce n'est que quand ses petits étaient sevrés quelques semaines plus tard, que les gosses pouvaient les voir.
Il y a bien eu la Chipie noire de mon cadet qui venait mettre sa tête sous mon fauteuil quand menaçait l'orage. Pourtant nous l'avons bien critiqué de garder un chien dans ses appartements.

Il y a presque eu le Snoopy de mon petit-fils, abandonné lors du divorce du fils ainé, que ma fille m'avait demandé d'adopter pour sa fille mais dont je n'ai pas voulu m'embringuer en pensant à ce que pourrait en dire ma femme même si elle m'avait déjà quitté l'année d'avant. J'ai pourtant ressenti un vide quand il a sauté guilleret dans la voiture de la demoiselle de pension pour chiens qui lui a trouvé une famille d'accueil.

Oui, je n'ai vécu mes rêves de voyages que par l'abonnement au National Géographic. Je n'ai vécu mon ingéniosité qu'en devenant mécanicien autodidacte. J'aurais aimé apprendre à démonter d'autres rouages, construire des ponts, des souterrains, monter une affaire comme mon cousin le grutier.

Je n'étais pas fait pour être paysan.

J'étais un homme frustré, amer, envieux, insatisfait.

Je suis passé à coté de la tendresse.

J'avais toujours un opinel dont le manche poli à la mesure des ans me rassurait, au fond de mes poches remplies de bouts de ficelles, boulons, écrous et petite monnaie que je déversais le soir dans le tiroir de ma table de nuit.

Sentir le manche au creux de ma paume me rattachait à mon enfance, m'ancrait dans l'image d'un monde réassurant et connu, moi le déraciné.

J'en commande maintenant par catalogue. De toutes sortes. Des longs, des courts, des lames fines, des lames épaisses, des manches sculptés, des manches lisses, des crans d'arrêt, des couteaux suisses, mais c'est l'opinel mon préféré.

Le facteur me dépose ces paquets sur le rebord de ma fenêtre et j'ai l'impression alors qu'on pense à moi. Je me sens seul quand même depuis la mort de ma femme. Bien trop seul pour oser l'avouer.
On ne parle pas de ces choses là, quand on est un homme.
Quand on est un dur.


Dernière édition par sprite le Dim 29 Aoû 2010 - 17:46, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitimeDim 29 Aoû 2010 - 15:00

catsoniou a écrit:
Voilà une histoire qui commence de fort belle façon et question :
s'ilen reste aux bestiaux sus nommés, c'est dommage pour eux , mais , considérons que c'est un moindre mal .

Ca depend si on est du cote de l'homme ou de la bete. Wink
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MessageSujet: Re: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitimeDim 29 Aoû 2010 - 20:21

J'aime comment se déroule le fil de la vie à travers les rêves non vécus du propriétaire de l'opinel. Ton écriture me semble encore avoir évolué, s'être affinée, structurée. Bravo pour cette nouvelle page de ta saga!
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MessageSujet: Re: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitimeDim 29 Aoû 2010 - 20:34

Bon et la suite? J'attends moi!!!
C pô juste...
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MessageSujet: Re: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitimeLun 30 Aoû 2010 - 15:26

La proposition du père lui convenait tout à fait. Joseph opinât. L'usine Opinel serait une réussite. Elle emploierait ces hommes qui au cours des longs hivers savoyards s'étaient toujours trouvé des occupations au coin de l'âtre et surtout, surtout elle leur garantirait un revenu fixe, les mettant à l'abri des humeurs du temps. Il savait exactement qui d'Albier-le-Vieux il emploierait aux lames et qui aux manches.

Forgerons de pères en fils depuis belle lurette, ils travaillaient maintenant en finesse et étaient devenus taillandiers. Rien ne leur échappait plus des secrets du métal pour tout outil dit 'à taillant'. Fournisseur du maçon au charpentier, du bûcheron au boucher, c'est pourtant ceux qui travaillaient la terre, paysans, jardiniers, maraîchers et vignerons, qu'ils affectionnaient plus particulièrement. Pour eux ils avaient amélioré un model de couteau pliable qu'on pouvait garder dans la poche sans risque de se blesser. Et c'est celui-là même que Joseph concevait maintenant de produire en quantité régulière plutôt que sur commande.

Il suffisait d'y penser.

Une machine à fabriquer les manches, basée sur les machines à faire des sabots, lui permettait maintenant de produire non seulement en plus grande quantité mais surtout en quantité uniforme. Il s'était donc servi du meilleur prototype et à partir de maintenant, sa série numéroté de 1 à 12 seraient des copies fidèles de ces manches conçues pour la paume, pour une empoignade souple, lisse et mesurée.

Il suffisait d'y penser.

Hêtre, olivier, chêne, noyer, buis, charme, palissandre, bubinga et pour des séries spéciales ébènes, bois de rose, zébrâne et cocobolo. Avouez qu'il chante bien le nom de tous ces bois qui s'adonnent d'habitude aux caprices d'ébénistes et menuisiers. Quand on pense à un couteau, on pense d'abord à la lame. C'est ce qui le défini. Et pourtant sans le manche que serait-il? C'est l'alliage de bois et d'acier qui perfectionna cet outil depuis que l'âge du fer a remplacé les haches de pierres taillées. On n'a rien inventé de mieux depuis les Mérovingiens et nul depuis eux n'a pu ou su damasser d'aussi belles lames.

Mais Joseph se contente de son succès et de sa gloire de nouvel homme d'affaire, alliant savoir artisanal reçu de ses ancêtres et désir de réussite financière et sociale. A mesure que le chiffre d'affaire monte, l'usine descend de vallée en vallée pour finir par s'implanter définitivement à Chambéry.

Il ne saura jamais que son cher couteau sera un jour considéré comme l'un des 100 plus beau produits dans le monde.Au même titre que la Porshe 911 et la montre Rollex, le musée Victoria et Albert de Londres lui décernera un prix spécial et l'exposera pour la sobriété et l'élégance de sa ligne ainsi que la qualité de son exécution.

On ne tue pas avec un Opinel. On coupe, on gratte, on sculpte, on épèle, on taille, entaille, on épluche, on pointe, on troue, on creuse...
... ou on le garde comme un grigri contre le malheur tout au fond d'une poche qui rattache à l'enfance.
On se réconforte à la douceur polissé d'un manche de hêtre qui tient bien dans la paume tout à sachant que l'acier dort en son centre prêt à assister la survie.


Dernière édition par sprite le Mer 1 Sep 2010 - 1:39, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitimeLun 30 Aoû 2010 - 16:25

Ben moi je voudrais que les bulles du Sprite donnent encore de nombreux textes à lire et relire....
Je suis d'accord avec Mésange ton écriture a encore évolué et je l'aime toujours autant.
Une superbe saga qui je l'espère va durer encore plusieurs épisodes parce que cette histoire de manche et de lame, me réconcilient avec les couteaux moi qui ne les aiment pas plus que ça....
Encore, encore et BRAVO!!!!
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MessageSujet: Re: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitimeMer 1 Sep 2010 - 14:57

IV-

Genèse minéral dans un végétal pétrifié.

La mousse des forêts cache l'ossature des bois où s'élève la sève.

Il reste encore à inventer le temps.

L'homme ne marche pas encore le long des fleuves ni au fond des vallées.

Des nébuleuses s'éclatent là-bas au loin dans l'infini et des soleils naissent.

Les nouvelles lumières captée par des yeux qui scrutent les ténèbres fait croire à la naissance d'astres inatteignables qui pourtant ne sont plus.

Tout est illusion. On ne sait plus où tout commence ni où tout finit.

Le vent s'infiltre dans le vert des ramages et tisse la chanson d'un monde vacillant.

La pluie, lentement, goutte à goutte monte des stalagmites dans des grottes profondes où dorment tous les rêves depuis la fin des temps.

Gel.

Dégel.

Le feu gronde à travers d'immenses plaines craquant la coque dure de graines échappées du bec de ces oiseaux qui bravent les tempêtes et traversent les mers. Une forêt va naître.

Le fer rougit, le fer coule libéré de sa gangue de terre, le fer s'agglomère. Après la rage incendiaire d'une foudre en déroute, quand l'orage aura lâché ses trombes salvatrices, il ressemblera à ces météores trouvées dans ces déserts où pleuvent les étoiles.

Plus dur que la pierre, pour un jour construire des armes ou des arches, des lames ou des câbles. Dans une création où règne la dualité il y a toujours le choix entre violence et paix.

On ne sait pas où tout finit. On ne sait pas où tout commence.


"On devrait toujours commencer par la fin." se répète Jeanne, le regard perdu dans la Voie Lactée. Elle a envie de gauler les étoiles, de les recueillir dans une besace qu'elle emporterait avec elle à la ville pour les contempler les soirs de peurs, de doutes et d'incertitude.

"Croix de bois, croix de fer, si je meurs, je vais en enfer." Des comptines oubliées lui reviennent, traversent son mental comme ces satellites qui avancent par saccade à travers l'étendue noire percée de points lumineux. De temps à autre une étoile filante déchire sa pensée, éphémère comme une intuition qu'elle n'ose pas nommer.
Pour arriver à cet instant, il a fallu tous les instants d'avant, depuis des millénaires qui s'explosent là où le temps n'existe pas encore. Pour qu'un Opinel repose maintenant, bien plié au fond de la poche de son short en coton, il a fallu tout un univers de forgerons et d'affûteurs de bois.

Nous ne sommes rien sans tous ceux venus avant.
Ceux qui suivront ne seront rien sans nous.
Sans nous, ceux d'avant n'existent pas.
Nous n'existons pas sans ceux qui nous suivront.

Tout l'espace et le temps ramassé en chaque instant présent.

Il aurait fallu que le père tranche, qu'il alloue justement ces biens prêtés par l'univers. Il aurait fallu qu'il ose. Il aurait fallu qu'il dépasse ses peurs. Il laisse dans son sillage des tessons de paroles dites aux uns pour attiser les autres. Il laisse de grands sourires à la face des étrangers et des mots lacérant qui divisent ses enfants.

Il s'était voulu dur mais n'a pas su trancher. Les lames de ses couteaux collectionnés au grès des catalogues ont encore tout un destin à suivre. Les ainés s'en sont emparés comme des moyenâgeux qui n'ont pas encore compris que l'ère des privilèges a été aboli. Ils n'ont donné ni à Jeanne ni à son cadet le droit d'en choisir un, comme un souvenir concret auquel ils auraient droit.

Au fond Jeanne s'en fout, elle a son Opinel bien à elle. C'est une question de principe. D'honneur aussi peut-être. C'est tout. Parce qu'ils sont revenus vivre et profiter près du père, ils se croient tout permis. Ils se refont des mémoires où ils oublient ce qui leur convient. C'est leur affaire.

Jeanne tranchera à sa manière. Avec les mots on peut tellement de choses. Elle a tué son enfance, déchiré d'une lame acérée le rougeoiement d'un coucher de soleil, plongé son Opinel dans l'astre à raz d'horizon et regardé le sang de son imagination disparaître sous un mince filet d'argent. Il n'y a pas eu de meurtre, seulement une justice assassinée.

Au creux de sa paume, le hêtre patiné d'un manche poli d'usure, la rassure. Le bois elle connaît. Il y a tous ces arbres qu'on lui a empêché de replanter. Il y a tous ces arbres qu'on a coupé malgré son interdit. Ceux qu'on lui a donné et puis repris. Il y a toute cette sève en elle qui monte et la nourrit et déborde pour ne laisser que l'ombre de ses désirs: des mots, des simples mots qui pourront dire, tout simplement.
L'alliage de l'acier et du bois, elle connaît. Elle est de la génération des encriers et des plumiers. L'encre violette sur l'acier d'une plume dont la pointe s'écarte sous la pression d'une main qui repose sur un buvard rose, elle la sent à pleines narines. Le porte-plume où s'écaille une peinture rouge s'alourdira un temps de maux trop longtemps tus. Les mots trancheront parfois, s'envolerons aussi , ils seront lame, ils seront sève, ils seront les siens. Ils serviront sa vérité.

Une météore pénètre l'atmosphère. Le métal en fusion trace son sillon de lumière, rapide et éphémère. Le temps d'un vœux elle retient sa respiration. L'âme acérée elle reprend son mantra silencieux.
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Osi
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Osi



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MessageSujet: Re: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitimeJeu 2 Sep 2010 - 10:38

salut bas
J'aime la façon dont la consigne est traitée.
C'est une belle saga.

PS : Merci de m'avoir appris un nouveau mot : "mantra".
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pati
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MessageSujet: Re: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitimeJeu 2 Sep 2010 - 11:30

magnifique...

j'aime la façon dont le réel s'enroule et se love derrière l'imaginaire, une façon de sublimer sa mémoire, et aussi son présent... pour un présent de choix
zoizo a raison, ton style se modifie, non, se bonifie.
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MESANGE
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MessageSujet: Re: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitimeVen 3 Sep 2010 - 15:54

Oh oui, MAGNIFIQUE! J'en aime le contenu, comme la forme!
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madeleinedeproust
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MessageSujet: Re: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitimeVen 3 Sep 2010 - 19:15

Chapeau bas Miss Sprite! C'est époustouflant...
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MessageSujet: Re: L'âme acérée   L'âme acérée I_icon_minitime

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