Il n’était plus question de marcher sur la tête et c’était bien dommage.
Donc, notre punition consistait en l’emplette d’une tenue de roi-mage,
D’un bon Aliboron
(1) ou de toute autre bête destinée au portage.
Point de vue déconfort
(2) le juge, un peu chameau, pour pourrir le voyage
Nous avait chargé d’or, de myrrhe, aussi d’émaux et d’encens d’un autre âge.
L’inanité
(3) de la jeunesse, avec les bornes parcourues, s’effaçait derrière nos traces.
A trop fanfrelucher
(4), gonzesses, on perd souvent de vue qu’il s’agit de grimaces,
De simagrées, de pataquès. Et des coquecigrues tout le monde se lasse.
Fini de rouler notre caisse, cette époque était révolue. Il fallait que tout cela passe,
Il fallait se remuer les fesses, il fallait se bouger le cul. Nous agitâmes nos carcasses.
Etabli par un battologue
(5) le plan n’était pas très précis, le vent était souvent mauvais.
Sur la route, jamais de gogues, nombreux soucis, brouillards épais,
Musique d’orgues, litanies et pancartes vandalisées.
Vent de ferraille,
Où que l’on aille
Le pays était en gogaille
(6)Nous suivions le caliborgnon
(7) quand les nuages se taisaient.
Nous n’avions pas même opinion sur la punition imposée
Et dans des bivouacs sans nom, lorsque le sommeil nous prenait
Nous avions l’étrange impression que chacun de nous grandissait.
Et puis, un jour, rue Montbazon, notre odyssée s’est terminée.
La ville s’appelait Charleville. Les chaussures étaient sur le mur.
La fièvre nous rendait tranquilles. Notre rémission était mûre.
Nous entrâmes sans un murmure. Le juge avait mis dans le mille,
L’étoile n’était pas parjure : l’enfant écartait les pupilles
Et la mère, d’une voix pure nous dit : « Voyez ! C’est une fille ! »
Saison d’enfer et damnation ! Nous ne tenions plus sur nos quilles !
Stupeur, tremblement, trahison ! On nous avait pris pour des billes !
- Comment ? hurlâmes nous en chœur, Ce devait être Jean-Arthur !
- Tout ce chemin à contre-cœur, toute cette vie d’aventure,
Ces jours écrasés de chaleur, ces nuits passées dans la froidure !
- Qu’allons-nous donc faire, ô Malheur, de tous ces talents d’écriture ?
Un homme alors sortit de l’ombre. C’était le père, assurément :
- Hola, les rastaquouères en nombre ! De quoi SE MELENT ces ci-DEVANT ?
1 : Aliboron : animal sur le dos duquel on peut-être transporté (âne, cheval, chameau, éléphant, bardot (sauf s'il se prénomme Brigitte))
2 : Déconfort : situation inconfortable dans laquelle on enfonce un condamné, plus ou moins cruellement de manière proportionnelle au nombre de points qu'il a affichés en lançant des dés.
3 : Inanité : sentiment d'agitation remplissant les poumons et le crâne d'air et de suffisance. L'inanité enduit avec de l'erreur les hommes et femmes d'un âge peu avancé qui sont incapables encore de saisir les concepts un peu ardus de la philosophie sénatoriale cacochyme.
4 : Fanfrelucher : aguicher un partenaire masculin en exhibant des tenues affriolantes (plumes, boas, bijoux, strass, strings ou Wonderbra).
5 : Battologue : cartographe jadis embarqué à bord des navires qui s'est professionnellement reconverti et bat désormais la campagne du plancher des vaches suite à une perte inopinée du pied marin.
6 : Gogaille : état d'un aérostat livré à lui-même, aux caprices du vent et à ceux du hasard du fait que son pilote à la main leste est tombée par-dessus la nacelle.
7 : Caliborgnon : étoile scintillante et clignotante qu'on aperçoit dans le ciel des nuits sans nuages et qui occupe dans la constellation du Sagittaire avant que le Sancerre ne vire la place qui correspond à l'oeil de l'archer éméché.