« Psssittt !
—Qu’est-ce que c’est ?
—Psssittt ! C’est moi !
—Qui « moi » ?
—Là sur le lit…
—Tiens ? Qu’est-ce que tu fais là ? C’est mon lit ça, toi, ta place c’est au-dessus. Tu es tombée de la couchette de ma sœur ou quoi ?
—Non, non, je l’ai fait exprès. Je me suis laissé glisser de là-haut. Au risque de me rompre le cou, je te signale !
—Tu n’avais qu’à rester tranquille ! Je ne t’ai pas demandé de venir sur mon lit ! Je te rappelle que je suis un garçon et que tu es la poupée chérie de ma sœur…
—Justement, j’en ai assez. Elle est bien gentille, mais par moment je la trouve un peu collante… Avec sa manie de jouer à la maîtresse, de m’asseoir avec l’ours et le baigneur devant son petit tableau noir, pour nous faire la classe, c’est insupportable ! Et la baguette ? C’est qu’elle me tape par moment, sous prétexte que je n’ai pas bien répondu ! Parfois même elle me met au coin, le nez collé contre le mur et… elle m’oublie ! Je peux rester là, dans cette position humiliante, pendant des heures. Et quand elle me retrouve, ce sont des « Ma pauvre chérie ! Elle a fait la vilaine ! Mais maintenant elle est gentille ! Hein, que tu es gentille ? Maman va te changer de robe… » Et voilà le supplice de l’habillage qui commence : robe à falbalas, volants, dentelles… Je t’assure, à force, c’est insupportable ! Et ce nom dont elle m’a affublée : Gwendoline ! Je te demande un peu…
—Comment aurais-tu voulu t’appeler ?
—Claude ! D’ailleurs j’aurais voulu être un garçon !
—C’est impossible avec tes boucles blondes et tes yeux de porcelaine !
—Tu pourrais me les couper…
—Tu es folle, ma sœur m’arracherait les yeux !
—C’est sûr ! Pourtant j’aimerais tant faire du vélo sur ton porte bagage au lieu de me laisser transbahuter dans ce landau de bébé, à moitié étouffée entre l’ours et le baigneur… Ah ! Sentir le vent dans mes cheveux quand tu dévales l’allée en roue liiiibre ! J’en rêve !
—J’aurais l’air malin avec une poupée sur mon porte bagage ! Les copains n’auraient pas fini de se fendre la pêche !
—Tu pourrais me mettre dans la sacoche, je sortirai la tête seulement quand nous serions seuls…
—Pas question ! Les garçons ne jouent pas à la poupée !
—Ah bon ? Quelle idée ! Ton papa joue bien avec ta sœur lui ? C’est un garçon, un grand bien sûr, mais c’est pareil, il joue avec une fille. Je ne vois pas pourquoi tu ne pourrais pas le faire avec moi ! Juste pour le vélo… S’il te plaît !
—Je… je n’avais pas pensé… à ça… Mais pas question que je m’occupe de tes robes ou de ta coiffure et puis, qu’est-ce qu’on va dire à ma sœur ?
—Rien du tout ! Quand je voudrai faire du vélo, je me laisserai glisser sur ta couchette et tu comprendras… On en profitera quand elle sera avec ses copines… S’il te plaît !
—Je veux bien essayer. Une fois pour voir. Mais si je me sens ridicule, j’arrête !
—Pourquoi ridicule, ce sera notre secret. Tu aimes les secrets ?
—Les secrets c’est pour les filles…
—Et le secret de Monte Christo ? Le héros du jeu est un homme : les hommes aussi ont des secrets !
—Tu as vraiment réponse à tout, tu es bien la poupée de ma sœur !
—Je serai aussi un peu la tienne… rien qu’un peu… de temps en temps… s’il te plait…
—Bon, entendu ! Tiens, on commence tout de suite, je vais faire un tour en vélo et je t’emmène. Dans la sacoche hein ? Et ne viens pas te plaindre si je vais très très très vite…
—Même pas peur ! Dis ?
—Quoi encore ?
—Tu pourras m’appeler... Claude ? »