Les souvenirs de Pablo

Je crois que je me suis trompé d’étage, c’est la seule idée qui vint à l’esprit, un peu embrumé il faut bien le dire, de Pablo. C’est une fin d’après midi pareille à toutes les autres dans cette petite ville de province, Pablo s’est rendu dans ce quartier pavillonnaire à l’entrée de la ville, le petit immeuble de trois étages se dégage nettement au milieu des jardinets, il n’a donc eu aucun mal à le trouver.

Mû par une irrépressible envie de faire une surprise à Charlotte, il a entrepris de grimper cette façade avec l’intention de l’attendre assis sur la balustrade de la fenêtre. De là haut, il aurait une vue superbe sur l’entrée de l’immeuble et il pourrait voir Charlotte venir vers lui. Il aurait le temps de l’observer, d’admirer ses longs cheveux bouclés. Ses cheveux c’est comme la mer quand un léger vent soulève les vagues. Pablo, il a toujours aimé la petite houle du bord de mer, il allait la regarder avec son grand-père quand il était petit. Du temps des jours heureux, du temps où il n’habitait pas dans cet institut au milieu de nulle part, dans cette petite ville tranquille de province.

Oui, les cheveux de Charlotte avec leurs belles boucles, sont comme la mer qu’il regardait avec son grand-père, les soirs d’été quand tout allait encore bien pour eux. Et les cheveux de Charlotte ont une drôle de couleur que Pablo n’arrive pas à bien expliquer. Ils sont un peu dorés comme le soleil qui brillait sur la plage et faisait scintiller les grains de sable ; ils sont aussi un peu orange comme les flammes dans la cheminée, ces flammes qu’il ne faut pas toucher parce qu’elles brûlent et avec lesquelles Pablo auraient bien aimé danser. Par endroit, les cheveux de Charlotte sont carrément rouges, rouge comme le soleil quand il descendait pour embrasser la mer. Rouge comme le sang qui s’échappait de la bouche de son papy ce soir là sur la plage, quand il s’est retourné pour voir ce qui empêchait son papy de lui répondre, lui qui répondait toujours à ses questions avec tant de patience.
Après, Pablo ne se souvient plus très bien de ce qui s’est passé, il a crié c’est sûr et des passants ont essayé de soigner son grand-père, quelqu’un a appelé une ambulance. Une dame a voulu le réconforter mais Pablo avait peur, très peur alors il s’est enfui et il a couru derrière l’ambulance.
Et puis, il est arrivé ici dans cette petite ville loin de la mer, dans cet institut où tous les gens sont gentils avec lui mais tristes, où personne ne l’emmène voir la mer le soir.

Il n’y a que Charlotte. Charlotte, elle est belle, quand elle marche on dirait qu’elle danse, Charlotte c’est du soleil dans sa vie. Alors Pablo a décidé de faire quelque chose d’exceptionnel pour qu’elle le remarque et l’emmène enfin voir la mer. Ils seraient tellement heureux, assis dans le sable à regarder la mer faire sa petite houle et à sentir les grains de sable chaud sous leurs mains. Ils seraient tellement heureux qu’ils resteraient là pour toujours, c’est sûr. Seulement Pablo n’est plus vraiment sûr de lui et de l’adresse exacte et puis il a escaladé avec tellement d’enthousiasme qu’il a oublié de compter et maintenant il se demande s’il est bien au bon étage…