- Je crois que je me suis trompé d'étage -
Il se souvenait avoir dit ça et puis plus rien , le brouillard, le néant.
L'histoire avait commencé quelques années plus tôt.
Il l'aimait, il l'adorait. ils s'étaient rencontrés à l'école du cirque et tout de suite, le courant était passé entre eux. Elle habitait au second étage d'une grande maison de pierre envahie par le lierre et la glycine. Chaque soir, assise à son balcon elle l'attendait. Il arrivait joyeux, la guitare à la main et lui chantait son amour en de longues et romantiques sérénades. Il l'appelait sa Juliette. Depuis quelques temps il avait pris l'habitude de la rejoindre dans sa chambre en escaladant la façade s'agrippant à la glycine en parfait acrobate. Ils filaient le parfait amour.
Et puis un jour il lui avait dit que puisqu'elle était Juliette et lui Roméo ils devaient mourir d'amour, là tout de suite, sans plus tarder, à grands coups de hache.
Elle l'avait flanqué à la porte et appelé les secours. Il avait été interné en psychiatrie histoire de calmer ses ardeurs.
Les années avaient passé et il n'avait rien oublié. Les hommes en blanc avaient ouvert la porte et il était libre comme l'air. Il avait filé comme une flèche en direction de la grande maison de pierre.
Le quartier avait bien changé depuis dix ans, il ne reconnaissait plus rien. La maison de pierre avait laissé place à un immeuble de cinq étages. - c'est là j'en suis sûr -
En digne fils de funambule, il s'était lancé à l'assaut de la façade, ivre de rage, en hurlant comme un forcené : - je te tuerai sale chienne, je t'étriperai jusqu'à ce que tu crèves, ça t'apprendra à te moquer de moi.-
Lorsque sa tête était apparue au balcon du second étage, le vieux monsieur qui arrosait ses géraniums avait clairement entendu : - je t'aurai ordure, aaaaah ! je crois que je me suis trompé d'étage -
Il avait appelé la police et Roméo le funambule avait rejoint le brouillard des hommes en blanc.