Elle avance à petits pas inquiets, penchée douloureusement vers son avenir...
Il est drôlement tronqué son avenir, amputé de ses espoirs de simple bonheur tranquille. Du genre une petite tasse de thé aux senteurs de jasmin préparée chaque après-midi pour Lui, avec quelques biscuits fourrés de crème vanille, ou alors des pains d'amande croquant doucement sous la dent gourmande, il les aimait... oh! Comme il les aimait...
Lui passait tout le jour, et puis toute la nuit, dans son fauteuil de patriarche, un peu bancal, un peu défoncé, qui grinçait autant que lui se mettait à tousser chaque jour davantage... une vilaine toux qui n'a pas pardonné, qui l'a emporté un matin dans un spasme interminable. "Au seuil de la mort", a-t-il murmuré ce matin-là... elle n'a pas entendu, ne l'a pas pris au sérieux
"Au seuil de la mort, je te tutoie enfin". alors elle a compris que le moment était arrivé..
Il y a combien de temps de cela ? Elle se pose la question tous les matins, ne retient pas la réponse. Depuis qu'elle ne prépare plus le thé au jasmin, sa tête déraille un peu. Enfin, c'est ce que disent les voisins qui ont appelé sa fille qu'elle ne voyait plus guère, Déjà du temps de Lui...
Alors, elle résiste... elle lance sa canne vers le voyage qu'elle a décidé d'entreprendre: un aller simple s'il vous plait monsieur, un aller simple vers là-bas, là où fleurit le jasmin...
Sur le quai de la gare déserte, elle résiste, penchée en avant, combattante de l'impossible.
"Je te tutoie enfin.. je n'ai pas peur..."