J'ai été éduquée pour t'aimer mais dès mon plus jeune âge je t'ai haie. Toi ma terre, terre de mes ancêtres. Herbe jaunie par le soleil, hommes au tain halé fumant la pipe, femmes tantôt espionnes tantôt enfermées à la cuisine.
Dès la première sécheresse que tu m'as infligé j'ai décidé de te quitter au plus vite. La jeunesse est l'âge de la hâte... Je ne supportais plus les regards concupiscents des anciens, les ordres des vieilles, cette vie étriquée.
A peine majeure, par une nuit de pleine lune je me suis enfuie. Errance libératrice de plusieurs mois, toujours plus loin de toi. Puis j'ai commencé à me stabiliser, étudier, travailler et renier mon passé.
Je me suis construit un avenir en niant mes origines, me maquillant pour masquer mon tain et me suis inventé un passé. Ma terre dès lors je me suis promis de ne jamais te revoir. Ma fille ne sait rien de toi...
Mais la vie fait de drôles de plaisanteries. A mes soixante ans elle aussi a fui sa terre pour l'Amérique ! Puis le verdict : cancer, on ne sait pas combien de temps il vous reste à vivre. Alors seule, perdue et désespérée je suis rentrée, me suis installée dans les ruines de mon ancienne maison.
La journée je cultive mon jardin et parle avec mes anciennes camarades. La nuit, j'observe les étoiles et lit. Petit à petit ce lieu est devenu mien et j'ai retrouvé la paix intérieure. Et toi ma terre au seuil de la mort, je te tutoie enfin. On a tant à se raconter après toutes ces années gâchées...