Je te quitte belle demeure, compagne de ma vie.
Tu ne veux plus de moi, je ne suis plus faite pour toi, peu importe.
Au final se dresse un douloureux constat.
Toutes ces années de bonheur, de jeunesse, de malheurs aussi, tu les as gravées dans tes murs.
Nous nous côtoyons depuis si longtemps qu’il me semble maintenant être faite des mêmes matériaux que toi, des mêmes vieilles pierres, solides en apparence, mais si friables…
Je le réalise, j’ai mis du temps à l’accepter, j’ai nié la vérité jusqu’au bout.
Ils ont bien tenté de m’ouvrir les yeux, par petites touches délicates, par peur de me blesser.
Je voyais à leurs visages embarrassés, leurs mains qui se tortillent nerveusement, que le moment leur était pénible.
Mais je refusais de comprendre, et balayais d’un revers de la main leurs arguments si convaincants.
Toi seule as réussi à me faire céder à la vieillesse et sa faiblesse.
Cet escalier, que j’ai si souvent descendu vers le petit jardin de derrière, cet escalier que j’aimais tant, et que parcourrais presque les yeux fermés.
Cette fois là je l’ai descendu bien trop vite, pour dégringoler tout en bas des marches, et manquer de me tuer.
Ensuite tout s’est enchaîné, l’arrivée du docteur, les messes basses des enfants, et la décision de m’installer en maison de retraite.
Il m’est accordé un peu, un tout petit peu de temps pour m’y préparer.
Je me rappelle une des dernières phrases de mon père : « C’est ainsi, on prend congé de soi même avant les autres, pour atténuer le coup fatal ».
Bien encadrée de bras jeunes et vigoureux, je descends l’escalier une dernière fois pour contempler le petit jardin.
Ce soir je dormirai dans d’autres murs, sous un autre toit.
Adieu.