Certes, je me suis souvent trouvé dans des situations délicates— Souvenez-vous du balcon du Grand Hôtel de Saint-Saturnin-sur-Yvette (affaire classée sous le nom de code de «consigne 155») ou encore du monastère de Tsarang, «consigne 156»— mais jamais encore je n’étais tombé aussi bas.
Passe encore le fiasco du parapluie bulgare, «consigne 157», mais après l’affaire de l’Evêché, «consigne 169», mes supérieurs ont décidé de me rappeler à la Grande Maison, celle d’où partent et où arrivent tous les grands dossiers concernant la sécurité du territoire. Le nid d’espions par excellence !
L’accueil a été plutôt frisquet…
J’ai immédiatement été déféré devant la plus haute autorité de la maison, un groupe composé de trois membres vêtus de noir, dont le N°1. Mauvais signe, car cette instance ne se dérange jamais pour vous confier une banale mission. Ceci se fait simplement par messagerie interposée.
J’ai dû, tout d’abord, répondre à un interrogatoire en règle : « Comment expliquez-vous vos échecs répétés ? » « D’où vient cette incompétence notoire qui fait de vous la honte des services spéciaux ? » « Comment diantre, avez-vous pu épouser une femme aussi curieuse ? » etc. etc.… Bref une véritable foire aux questions !
J’ai bien tenté de justifier mes infructueuses recherches, non par mes insuffisances, mais plutôt par l’extraordinaire machiavélisme de mon adversaire, rien n’y a fait. Les trois hommes se sont concertés à voix basse et le N°1 a tourné vers moi son profil d’aigle pour m’annoncer la sentence :
« Nous pourrions vous liquider discrètement, mais ces méthodes sont d’un autre âge, alors c’est décidé, nous allons vous mettre en dormance ! C’est encore dans cette situation que vous ferez le moins de dégâts ! En attendant, il nous faut vous trouver une affectation ici. Qu’en pensez-vous, messieurs ? »
L’homme en noir de droite s’est penché vers le N°1 et lui a chuchoté quelque chose à l’oreille… Ce dernier a violemment sursauté : « Mais vous n’y pensez pas ! Vous êtes complètement déconnecté de la réalité ! Cet homme est incapable de mener à bien une quelconque mission. Il nous l’a prouvé ! Non ! En attendant que le monde du renseignement vous oublie, ce qui ne devrait pas être trop long au vu de votre incommensurable nullité, vous serez rattaché aux archives ! Allez ! Quatrième sous-sol ! »
Depuis, dans les profondeurs des entrailles de la grande Maison, je trie, je classe, j’archive… Les jours passent… Dernièrement en consultant le calendrier, je me suis aperçu qu’à cette date, le Cobra a l’habitude de partir se dorer tranquillement au soleil, sur une plage des Bahamas…