Seul l'horizon est encore enflammé, ici, nous sommes déjà entre chien et loup. La caravane passe (enfin la charette qui revient des entrepôts de l'armée) mais cette fois, aucun chien n'aboie… et c'est certain que je n'ai pas non plus le coeur à ça.
Ça va leur faire comme un chien dans un jeu de quilles a mes patrons, la mort de leur petiot. Ils comptaient sur lui comme bâton de retraite, mais que voulez-vous, c'est comme s'il avait été mordu par un chien enragé quand on est venu recruter au fin fonds des vallées: au moins il verrait du pays, qu'il pensait. Il croyait mener une vie de chien avec nous; il aura compris trop tard. Il s'est donné un mal de chien pour ne pas se faire réformer malgré ses pieds plats et sa poitrine en jabot de pigeon. Il a vite désenchanté à ce que je crois comprendre, et sitôt sur le front, il a voulu s'échapper. Bien que blessé par une balle amie, un caporal toujours d'une humeur de chien, a voulu faire un exemple de sa désertion. Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage, alors en plus on l'a accusé de trahison.
C'est à l'aube qu'on l'a fusillé. Alors, il faut me faire une raison, on ne me retrouvera jamais plus en chien de fusil à ses pieds dans le chalet des alpages. Et les vieux n'ont pas fini de se regarder en chien de faïence et à se reprocher l'un l'autre de n'avoir pas su le retenir. Nom d'un chien, c'est pas une vie! Ils se sont toujours comporté comme chien et chat pendant l'absence du gosse. Qu'est-ce que ça va être maintenant? Et dire qu'autrefois, le maître trouvait que ma maîtresse avait du chien! C'est ce que ma chienne de mère me racontait en tout cas.
Pauvre de nous! Ça fera même pas deux lignes dans la rubrique des chiens écrasés. Une fois enterré et les vieux morts, qui va se souvenir du petiot? Mais on dit qu'un vieux chien n'aboie pas en vain, alors je peux peut-être encore me rendre utile. Même quand il fera un temps de chien, voire un temps à ne pas mettre un chien dehors, je ne vais pas donner ma part au chien pour ce qui est de hurler à la mort les soirs de pleines lunes quand je me coucherai sur sa tombe. Croyez-moi bien, je n'aboierai pas comme un roquet…. mais comme un pur race; c'est sur que grâce à moi tout le canton saura que le petiot n'a pas été enterré comme un chien. Et pour celui qui trouvera à y redire, je lui garde un chien de ma chienne. On ne pourra pas dire que je ne me serai pas donné un mal de chien pour qu'on se souvienne de lui. De penser qu'on risque de l'oublier, ça me rend vraiment malade, malade comme …. un chien.