J’ai planté un arbre. Pour conjurer le sort, forcer le destin. Juste ici, devant ma capitelle.
Cette terre qui m’a vu naître et avant moi mon père, et mes ancêtres, cette terre je l’ai aimée et haïe à la fois.
Comment pourrait-il en être autrement ? Un paysage grandiose mais qui épuise ses habitants. Labouré par les vents, fouetté par les pluies, écrasé sous le soleil, le lieu ne pardonne aucune faiblesse aux hommes ou à la nature.
Combien sont partis, vers d’autres contrées plus accueillantes, par delà les noires crêtes à l’horizon ?
Là-bas, l’herbe est drue, les arbres sont nombreux et poussent droit, le vent ne les torture pas comme ici.
J’ai voulu rester dans ce pays. Parce que j’y suis né, que ma vie y était tracée. Et puis je possédais la ferme paternelle, et quelques rudes arpents à cultiver.
Mais cette existence m’a usé, plus vite qu’elle ne l’aurait dû.
Ma tendre épouse s’est éteinte précocement il y a quelques mois. Trop de fatigue, de froid, de faim les jours d’hiver où les réserves s’épuisaient.
La faute aux maigres récoltes, à ces sols sans cesse appauvris par le déchaînement des éléments.
Les enfants aussi sont partis, ils se sont lassés de ces landes et ces collines sauvages.
Je ne suis pas amer pourtant, car je sais qu’un jour tout changera.
Mon temps est compté maintenant, mais le siècle avance et des idées nouvelles commencent à circuler.
Elles sont même arrivées jusqu’au village. Ragots de comptoir pour certaines, celles-là sont vite éliminées.
Mais des personnes sensées causent très sérieusement autour d’un projet qui concernera tout le pays. Projet soi-disant réalisable et bénéfique pour tous.
Il donnera à nos campagnes un autre aspect et les rendra plus vivables.
Alors tout s’enchainera. Les jeunes accepteront de rester, les fermes se repeupleront et une vie nouvelle se répandra partout.
Les arbres, c’est eux qui amèneront le changement. Les ingénieurs de la ville assurent que leur plantation en grand nombre stabilisera la terre cultivable, protègera les cultures du vent et de ses rafales assassines, et changera la vie de nos paysans.
Alors je veux y croire. Parce que j’ai trop souffert dans cet endroit que je n’ai pourtant jamais voulu quitter.
Je ne verrai pas le changement, trop vieux pour ça.
Mais mon arbre sera le premier d’une vaste forêt.