J’ai planté un arbre de mémoire il y a de cela trente ans.
En mémoire de toi, mon fils, tombé dans ce désert de pierres en défendant ta terre, dans le fracas des armes et le hennissement des chevaux.
Tu étais jeune, fraîchement adoubé par le seigneur des lieux et ta vaillance n’avait d’égale que ta témérité. Du haut de ces remparts de pierre, impuissant, j’ai assisté à la bataille, et quand la défaite a posé ses ailes de deuil sur notre armée vaincue, j’ai su que toi, mon fils, tu nous avais quittés.
Je t’ai cherché parmi les corps, accompagné par les râles des mourants. Et quand je t’ai trouvé, le visage miraculeusement épargné et les yeux grands ouverts sur un ciel que tu ne voyais plus, je suis tombé à genoux. Un soldat ne pleure pas, il sait à quoi s ‘en tenir et le prix du danger en ces temps incertains.
Je t’ai enseveli à l’endroit même où tu étais tombé. Et j’ai planté un arbre, pour que sa vie se substitue à la tienne et que perdure ton souvenir…
Aujourd’hui, après bien des errances, le vieil homme que je suis devenu, est de retour. Le donjon menace ruines, mais l’arbre est toujours là. Droit, puissant et fier, dans la force de l’âge comme tu le serais maintenant.
En échange de mon épée devenue inutile et de mes maigres biens, j’ai fait promettre à l’ermite qui occupe les lieux aujourd’hui, de m’enterrer près de toi, sous l’arbre, qui étendra sa ramure sur nos deux corps enfin réunis.
Alors nous reposerons à jamais dans l’ombre accueillante de l’arbre de mémoire.