« Tiens, bonjour Juliette ! Pas trop secouée ?
—Bonjour Commandant ! Secouée par quoi ? Que voulez-vous dire ?
—Mais par l’explosion et je vous jure que, cette fois, ce n’est pas moi le responsable !
—Avec vos antécédents la direction va avoir du mal à vous croire… La dernière fois que nous avons eu une explosion, c’est votre fameux alambic que vous aviez installé au sous sol, dans la chaufferie désaffectée, qui s’est volatilisé dans les vapeurs d’alcool frelaté.
—Riez, riez ! Vous n’étiez pas la dernière à l’apprécier mon alcool « frelaté » !
—J’avoue ! Mais ne craignez rien, je sais que ce n’est pas vous le responsable de l’explosion de cette nuit.
—Qui alors ? Le vieux fou de la chambre 1418 ? Toujours à raconter ses souvenirs de guerre… Je parie qu’il a des explosifs dissimulés dans son placard…
—Mais non ! D’ailleurs ce n’est personne d’ici…
—Et comment pouvez-vous en être si sûre ?
—Elémentaire, mon cher Commandant, élémentaire !
Regardez les débris, ils sont tous à l’intérieur du petit salon, preuve que l’explosion a eu lieu à l’extérieur : le souffle a projeté les éclats de verre dans la pièce. Si l’explosion avait eu lieu DANS la pièce, les éclats de verre seraient dehors…
—Juliette, votre esprit d’observation me laisse toujours pantois !
—D’ailleurs, je sais exactement ce qui s’est passé, mais motus !
—Oh, à moi, vous pouvez bien le dire. Je serai muet comme une tombe…
—5 euros d’amende, Commandant ! Vous venez de prononcer un mot interdit !
—Oh, rien ne vous échappe ! D’ailleurs, je trouve ce jeu idiot, interdiction de prononcer un mot ayant rapport avec… enfin, avec… Oh et puis zut ! D’accord, je mettrai 5 euros dans la cagnotte ! Mais dites-moi, que savez-vous au juste pour cette nuit ?
—Voilà : vous savez que mon petit fils est ornithologue, dernièrement il m’a fait cadeau d’une vieille paire de jumelle dont il se servait pour l’observation des oiseaux, c’est une Swarovski Optik 8x42, je ne vous dis que ça !
—8x42 ?
—C’est le grossissement !
—C’est beaucoup ?
—Boudi*, Commandant ! On ne dirait pas que vous étiez dans l’armée ! Ce grossissement permet de voir un oiseau distant de 100 m comme s’il était à 12,5 m à l’œil nu.
—Et alors ?
—Vous savez que je suis insomniaque, alors au lieu de tourner et virer dans mon lit à la recherche du sommeil, la nuit, j’observe…
—Les oiseaux ?
—Mais non ! Ce qui se passe à l’extérieur, de l’autre côté de la rue, près du hangar inoccupé… Et il s’en passe croyez-moi !
—Racontez, racontez !
—Oui, mais pas un mot, je ne veux pas être cuisinée par la police qui ne manquera pas de débarquer tout à l’heure. Motus et bouche cousue, c’est ma devise!
—Ce sera la mienne, racontez !
—Souvent la nuit, vers deux heures du matin, un utilitaire vient se garer le long du trottoir, et, du hangar soi-disant inoccupé, sortent deux individus chargés de caisses plates, qui paraissent excessivement lourdes. Si vous voulez mon avis, ce sont des armes…
—Un trafic d’armes ? Il faut prévenir la police !
—Vous avez promis ! D’ailleurs, si vous voulez mon avis, le trafic a pris fin cette nuit. Quand le chargement a été effectué, le chauffeur de l’utilitaire et les deux autres sont rentrés dans le garage pour tout refermer et effacer une éventuelle trace de leur passage. Il ne leur restait qu’une caisse plus petite à charger, elle était restée sur le trottoir et je me suis dit « une caisse plus petite ? » : les munitions sans doute… C’est alors que je suis entrée en jeu…
—Vous ? Et comment ?
—Vous savez, le petit pistolet de dame, celui à crosse de nacre qui vous fait tant rire quand je prétends le garder pour me défendre ? Et bien, mon autre petit fils, celui de Marseille, m’a appris à tirer avec, et cette nuit ce fut pour moi un jeu d’enfant de viser la dite petite caisse et… BANG ! J’avais vu juste, elle contenait bien les munitions ! Tout a sauté ! L’utilitaire et les armes sont partis en fumée ! Les trois gars, hagards, sont sortis du hangar et ont filé comme s’ils avaient le diable à leurs trousses !
Quant à moi, je suis allée me coucher et j’ai dormi comme un bébé jusqu’à ce matin !
—Juliette, vous m’étonnerez toujours ! Mais, je vous le répète : vous regardez TROP la télévision ! »
*Boudi ! : en patois méridional bon Dieu !