Yeux bandés, main tendue.
Un objet vient soudain se poser dans le creux de la paume.
La main recouvre le dos de l'objet. Les doigts dépassent à peine sur les bords, juste ce qu'il faut pour avoir une excellente prise.
L'autre main entre en jeu.
C'est doux et légèrement granuleux sous le doigt. Quand le pouce suit les bords de l'objet il sent vite un obstacle, comme un lien, plus rugueux, et mouvant, qui semble barrer l'objet sur sa largeur. Léger mouvement d'avant en arrière du lien, mais toujours il revient à sa place dans un léger claquement au contact.
Le pouce, aventureux, poursuit son exploration.
Soudain un rebord tout fin, qui précède sans un mot d'avertissement une chute dans un caniveau étroit au fond d'une douceur chatoyante.
Mais en suivant ce caniveau, nouveau tête-à-tête avec ce lien rugueux qui laisse ici le doigt se faufiler sous lui avant de lui retomber dessus, avec encore ce léger claquement au contact.
Et là le cerveau fait le lien : un élastique tient fermé le rectangle doux et légèrement granuleux.
La main approche l'objet du délit du nez.
Premier contact, froid.
Et puis les effluves montent.
Une odeur de cuir patiné.
Le nez poursuit sa quête dans les profondeurs du caniveau.
Senteur plus douce de papier mêlé à celle de l'encre séchée.
La main retourne maintenant l'objet du délit.
De ce côté ci point de lien pour entraver la caresse du doigt, c'est à peine si l'index devine tout en bas un léger ressac de part et d'autre.
Mais une nouvelle trouvaille vient bientôt aiguiser sa curiosité.
Entre ces deux ressacs il sent un relief. Va-et-vient horizontal. Relief, pas de relief, relief, pas de relief...
Utiliser le bout du doigt, la partie la plus pulpeuse et la plus réactive, pour tenter de délimiter ces reliefs mystérieux.
Des lettres sans aucun doute, mais lesquelles ?
La main monte vers le bandeau, fait mine de l'ôter, puis, comme prise de regret, revient en arrière.
L'objet bien calé dans la paume de la main gauche, les doigts de l'autre main glissent jusqu'à l'élastique, lutte un bref instant avec lui, le temps de le faire glisser.
Un claquement plus net que les précédents annonce que le lien vient de céder.
Les doigts agrippent le rebord et tentent un premier mouvement latéral, comme pour ouvrir un livre.
Surprise, le rebord bouge, mais vers le haut.
Lentement les doigts se redressent et accompagnent l'ouverture.
Une petite voix victorieuse murmure alors : un calepin, ton Moleskine.