Il y a un MONSTRE sous mon lit !
Quand j’ai eu l’idée d’en parler à mes parents, la réponse a été catégorique : « Cesse de faire le bébé ! A ton âge on sait très bien que les monstres n’existent pas ! » Point final. C’est vraiment bizarre comme les adultes peuvent être aveugles, parce que j'en suis sûr, il y a aussi des monstres dans la vie de mes parents, mais ils ne les voient pas…
Moi, non plus je ne l’ai pas vu mon monstre — j’ai bien trop peur — mais je sais qu’il est là, sous mon lit. Dès que maman éteint la lumière et referme la porte de ma chambre, je sens qu’il est là ! Alors, je me coule au plus profond de mon lit, les couvertures sur la tête et les bras serrés autour de la poitrine pour les empêcher de trembler. Mon cœur cogne à toute vitesse, j’ai la gorge nouée, je transpire, je manque d’air, mais je reste là, jusqu’à ce que la fatigue ait raison de moi et que le sommeil me prenne…
Je ne l’ai jamais vu, mais au cours de ces heures de solitude épouvantée, j’ai eu le temps de l’imaginer, debout au pied de mon lit, attendant le moment où je montrerai ne serait-ce qu’une oreille, pour me sauter dessus. Il est grand, TRÈS grand. Et gros, boursouflé plutôt, mais avec des joues flasques, des yeux en forme de soucoupes et, sur la tête, deux petites antennes mobiles comme les cornes des escargots. Sa peau est grisâtre, parsemée de poils, de longs poils de yéti…
Quelquefois, la nuit, quand je retiens ma respiration, je l’entends grogner… Ou geindre… Qui peut savoir ?
Alors, ce soir, j’ai décidé d’en avoir le cœur net ! J’ai réussi à subtiliser la torche électrique dans le tiroir de la cuisine et je l’ai cachée sous mon oreiller. Maintenant, dans l’obscurité de mes draps, je la serre très fort dans ma main et quand il me semble entendre le frôlement du monstre qui s’extirpe de dessous mon lit, j’attends quelques secondes et je rabats brusquement les couvertures, braquant la lampe vers le pied du lit…
Il est LÀ ! Encore plus affreux que dans mon imagination ! Dans un sursaut, j’éteins la torche. J’ai une envie folle de replonger sous l’abri des couvertures, mais quelque chose me retient : dans ses énormes yeux globuleux il m’a semblé apercevoir une lueur de tristesse. Tristesse ? Je rallume, il s’est rapproché et d’un minuscule doigt « E.T.esque » il me montre le lit. Je lui trouve tout à coup l’air bien moins effrayant, un peu stupide même. Je m’éclaircis la gorge et prononce d’une voix ferme : « Va-t-en ! Allez ouste ! Fiche le camp ! »
Alors là, je n’en reviens pas ! Le monstre éclate en sanglots ! De grosses larmes coulent sur ses joues et vont se perdre dans son pelage clairsemé. Il pousse des gémissements sourds suivis de petits cris aigus de souris effrayée… Il est ridicule ! Mais il semble si seul ! Si désespéré ...
Je ne sais plus que faire. Je chuchote: « Arrête ! Tu vas réveiller tout le monde ! » Que peut-il bien vouloir ? Son doigt, toujours tendu, tremble… Que je le prenne avec moi DANS mon lit ? Quelle horreur ! D’un autre côté… si c’est le seul moyen de le faire taire…
J’écarte le drap et recule vers l’extrême bord du lit. Il a compris ! Il se glisse dans l’espace libre et pose sa grosse tête sur l’oreiller. Maintenant qu’il est tout près de moi, je me rends compte que sa peau n’est ni froide, ni visqueuse, mais tiède et douce, ses poils, ni raides, ni rêches, me caressent la joue.
Soudain il me semble comprendre son insistance à fréquenter ma chambre et son chagrin: celui d’un pauvre monstre que personne n’aime, qui se sent très seul et qui cherche un ami… Il a fermé les yeux et posé sa patte velue sur mon poignet...
Je sais qu’il y a un AUTRE monstre dans mon placard, mais avec celui qui ronfle auprès de moi, je ne crains plus rien.
Pourvu que le monstre du placard n’ait pas aussi une idée derrière la tête : mon lit ne serait pas assez large pour trois !