Monstres d'études

C'était le début d'un rêve. Le mien, celui de ma mère, et celui qui redonne espoir à toute la modestie d'une caste. L'accessibilité à la classe sociale supérieure. La riche, la belle, celle que l'on envie. Oui c'était le jour où j'étais reçu en deuxième année de médecine. Victoire modeste d'une modeste fille. Ce devait être une merveilleuse ascension. Oui, combien de fois, n'ai-je pas entendu dire: tu sais.. le plus dur c'est la première année, le reste c'est pas plus difficile qu'autre chose, c'est juste long. A quoi je répondais... je n'ai pas peur... je suis patiente.

Je ne m'en suis pas aperçue toute suite; peut-être voulait-on préserver notre naivité, peut-être n'avions nous pas encore grands intérêts à l'époque ? Mais insidieusement le mécanisme s'était mis en place.
D'abord on m'avait menti. Le travail n'était pas plus facile en deuxième qu'en première année, à peine de temps de refaire un peu de sport.
Puis tout vos amis avaient perdu contact avec vous pendant cette année d'hermitage, lassé de vos réponses négatives à leurs propositions de sortie. Vos vrais amis étaient maintenant en médecine. Eux savent combien tout est difficile dans vos études, combien il faut se battre.
Bien sûr, de temps en temps, vous revoyez quelques connaissances, ou quelques amis d'enfance. Pendant quelques minutes, on vous félicite, on vous questionne, puis on vous trouve rapidement pompeux avec tous ces termes. Arrête un peu de te l'a pêter, va, on sait que tu es en médecine! Et on se moque de vous car vous ne regardez pas telle ou telle série à la télé. Comment expliquer que pendant ce temps vous travaillez vos cours ou vous travaillez à l'hôpital à faire le ménage pour payer le droit de travailler vos cours. Petit à petit, vous vous isolez. De vos amis, et même parfois de votre famille. Mais très vite, vous allez apprendre à ne surtout pas montrer votre désaccord.
Puis, vient le temps de l'hopital. Nous attendions tous tellement impatiemment la mise en pratique d'une théorie gargantuesque. Mais la désillusion est assez brutale. Vous n'êtes pas désiré. Voire même, vos chefs ne sont pas prévenu de votre arrivée. Vous débarquez comme un parasite dans l'emploi du temps d'un grand chef, qui sortant d'une garde de vingt-quatre heure et des consultations à rallonge, n'a pas le temps ( ni l'envie d'ailleurs) d'expliquer les bases de la médecine à la 17ieme promotion de 2ieme et 3ieme année qui passe dans son service. D'ailleurs entre eux, les étudiants se surnomment, la plaque d'athérome ( plaque de cholestérol responsable d'infarctus) de l'hopital. Mais surtout ne montrez pas votre désaccord.
Enfin vient le temps de la 4ième année. C'est à partir de cette année là que l'hopital vous emploie. Une centaine d'euros, pour un mi-temps, une trentaine d'euros pour une garde de vingt-quatre heure. Vous acceptez parce que vous voulez apprendre votre métier.
Et puis, le premier jour, on vous explique que vous devez ranger les dossiers des patients, trier les biologies ( d'un système papier qui pourrait être informatisé depuis une ou deux décennies). Et rarement, très rarement, vous aurez le temps de voir un patient, d'apprendre. Mais surtout ne montrez pas votre désaccord.
Bien sûr vous suivrez la visite. Cette magnifique institution des hôpitaux français où tel un gourou, le chef de service rentre dans une chambre de patient suivi d'une quinzaine de moutons en blouse blanche; met à poil le patient en question pour modifier son traitement, sans même prendre la peine de lui expliquer, la plupart du temps, et repartir comme il est venu. Mais surtout ne montrez pas votre désaccord.
Vous pensez que vous allez apprendre quelque chose de ce grand chef respectable. Mais vous passez votre temps à faire des aller-retour entre lui et les dossiers des patients pour chercher des radios ou tout autre demande fantaisiste de ce dernier.
Soudain, il semble se rappeler qu'il y a des étudiants dans la chambre et pose une question. Vous savez, vous répondez juste, vous êtes l'élite, vous gagnez son respect pour dix minutes... Ou... vous ne savez pas (normal vous êtes la pour apprendre), il vous regarde,....amusé, vous enliser, chercher pendant une bonne demi-heure la réponse, puis vous la balance avec dédain. Mais surtout ne montrez pas votre désaccord.
Vos "amis médicaux" ne le sont plus toujours, car tous les coups sont permis pour arriver au sommet. surtout les coups dans le dos. mais surtout ne montrez jamais votre desaccord.
Enfin, à quoi bon vous plaindre: de tout manière tu l'as choisis tout ça !!! Tu as la chance de faire des études!! De toute manière tu auras une paye qui va bien rattraper tout ce que tu vis là !!!
La sixième année c'est l'internat. Sacro-saint concours. Celui qui détermine qui a le plus gros cerveau. Séparateur de l'élitisme et de la populasse médicele. Malheur à celui qui choisira la médecine générale. Sous-spécialité au service de la personne. Mais surtout ne montrez pas votre désaccord.
Vous étiez une fille joyeuse, pleine de vie, spontanée, heureuse. Après une demi-douzaine d'année à cravacher sans fin, vous êtes parfaitement rentré dans le moule. Ironique, desabusée, seule. Prête à ne jamais briser l'omerta médicale.
Il est de ces monstres, dont on doit s'accomoder pour vivre car on vous l'a donner en cadeau.

Je suis désolée de la longueur du texte, je l'ai déjà raccourci au maximum, il me tenait beaucoup à coeur.

Ah mais surtout ne sois pas désolée, c'est certain qu'il te tenait à coeur et personnellement, je le trouve très bien écrit. Tu décris très bien cette fameuse omerta médicale. Si tu en as le temps et que tu ne l'ais déjà fait, je te conseille de lire un livre que j'ai beaucoup apprécié et qui va dans le sens de ce que tu décris, dénonce dans ton texte: Martin Winckler, "le choeur des femmes". Un livre que tous les médecins devraient lire qu'ils choisissent la spécialité gynéco (celle dont il s'agit dans le livre) ou une autre. Bon courage à toi, j'espère qu'avoir écrit ce texte t'aura soulagé...

ohh il est déjà lu, relu, rerelu et tous ceux de Martin Winckler qui est un auteur très accessible avec lequel il m'est arrivé de communiquer par mail, et qui m'a répondu sans aucune prétention. Ce monsieur est un Grand Docteur et un Grand Ecrivain et je l'admire beaucoup.

C'est un texte long et indispensable.
Il devrait d'ailleurs faire 10 pages de plus, que je n'aurais pas rechigner a le lire.
J'avais une amie, dermatologue aujourd'hui, qui est passée par tout ce que tu vis. Je l'ai vu bosser comme une forcenée, passer de l'enthousiasme a la désillusion, raconter l'internat, les coups bas des camarades pour être mieux vu du professeur. J'ai été témoin de son courage incroyable pour y arriver malgré tout. Et je garde une admiration sans bornes pour les gens comme toi.
Il n'y a pas un mot a enlever dans ton texte, parfois, je te fais quelques critiques. Mais la, je n'ai rien a dire, a part: un texte excellent Et un témoignage très instructif.
et donc: MERCI

Merci Admin,
Je n'aime pas beaucoup me plaindre car objectivement j'ai une place enviable
mais peu de personnes connaissent cette bataille et parmi eux, peu se rende
vraiment compte de l'énergie qu'il faut insuffler dans cette conquête. Mais le
thème se prêtait bien au contexte et à un mois du concours, l'amertume et la
solitude prennent le dessus sur tout le reste.
POur ce qui est de l'écriture, le texte est brut et mérite ré-écriture et même
s'il me tient à coeur, il est possible qu'il comporte des imperfections, ne te
retiens donc pas s'il mérite des critiques ( c'est ce qui fait grandir quand elles
sont constructives comme les tiennes)
Et encore Merci à toi surtout de cette compréhension.

Désolée Titruk de ne pas avoir vu ton texte plus tôt !
Non, la longueur ne me rebute pas, c'est même passionnant de vivre "en-dedans" la longue et dure progression d'une étudiante en médecine.
Le jeu en vaut-il la chandelle ? Es-tu contente d'être arrivée au bout ? Malgré les sacrifices, n'exerces-tu pas un métier noble ?
C'est finalement cela le plus important, c'est qu'une fois le but atteint, tu sois heureuse.
Des amis, des sorties, tu en feras encore ou autrement...
Le mépris des Chefs, tout le monde le vit dans d'autres professions aussi, je pense par ex. aux études d'avocat...
Mais ce texte, tu te devais à toi-même de l'écrire, tu en as accouché, c'est très bien et

Merci Amanda,
Je ne critique en aucun cas mon futur métier qui pour moi est le plus beau métier du monde.
Mais c'est une profession qui devrait être désintérressée et au service de la personne. Hors
ce que je déplore c'est que, loin de nous préparer à respecter ça, nos études nous poussent
vers le profit et parfois vers l'irrespect du patient. Tout est permis, corrompu parfois, sous
prétexte d'un travail qui ne peut pas être fait par tout le monde. Ces études m'ont profondemment
changé, tant au niveau de mon mode de vie qu'au niveau de mon caractère. Je viens d'une vie modeste
et on m'avait appris l'honneteté et le service et j'ai parfois l'impression de trahir mes principes.
Bien sur tout ceci vaut le coup, mais je ne pense pas que ce soit necessaire à une bonne formation.
c'est tout ceci que je déplore dans cette formation. (Mais tu as raison, mon frère étant en étude
de Droit il subit les mêmes pressions que moi et en souffre autant que moi). Ca me fait plaisir de
partager tout ceci avec vous;