La scène se passe dans un poulailler en effervescence, il s’agit d’un dialogue entre La Gloussote et Galine.
La Gloussote (mystérieuse) : Tu connais la nouvelle ?
Galine (occupée à gratter la terre pour les douze poussins qui se pressent autour d’elle) : Non, qu’est-ce qui se passe ?
La Gloussote (impatientée) : Oh, toi ! Tu n’es jamais au courant de rien, il est vrai qu’avec ta nombreuse marmaille…
Galine (curieuse) : Raconte !
La Gloussote (l’air important) : Et bien, nous attendons LE nouveau !
Galine : Le nouveau quoi ?
La Gloussote : Le nouveau COQ !
Galine (surprise) : Mais… Et Clairon ?
La Gloussote (discrètement) : A ce qu’on dit, Clairon a encore de la voix, mais côté « crac, crac », il n’est plus à la hauteur…
Galine : Mais regarde ! Avec moi il a plutôt bien réussi.
La Gloussote (ironique) : Tu es sûre ? La « chose » ne s’est elle pas produite pendant que La Victorine nous avait confié son coq, le temps d’aller voir son fils à Paris ?
Galine (embarrassée) : Heu... Je ne sais pas, on ne peut pas être complètement sûre avec ces choses-là… Mais dis-moi, est-ce qu’on va … éliminer Clairon ?
La Gloussote : Non ! Avec quinze poules, il faut bien deux coqs. Mais je crains qu’il ne nous fasse une dépression, le pauvre !
Tiens, voilà La Germaine qui apporte la cage avec le nouveau… Regarde, cette ruée ! Toutes les jeunettes se précipitent, c’est à qui sera la première pour croiser le regard du nouveau séducteur… Et l’autre là-bas avec son toupet de plumes ! Je ne peux pas la souffrir, et cela depuis son arrivée. Quand je lui ai demandée d’où elle tirait ce drôle d’attribut, elle m’a répondu « Je suis une Nègre-soie, originaire d’Asie, moi, Madame ! » Ce à quoi je lui ai rétorqué du tac au tac : « Et moi je suis une Gauloise dorée, bien française, et je vous vaux bien ! ». Depuis, elle me fait la tête.
Galine (admirative) : Oh, regarde ! Il est vraiment superbe ce coq ! Regarde cette jambe galbée, ce camail, ce plastron ! Et cette crête, une merveille ! Et ces barbillons, je n’en n’ai jamais vu de si écarlates ! Et ces ergots ! Je pense qu’il ne faudra pas lui en compter, Clairon n’a qu’à bien se tenir !
La Gloussote : Arrête ! Il est jeune voilà tout, mais je me demande s’il sera aussi prévenant avec nous que Clairon, un coq incomparable pour dénicher la nourriture, qui jamais ne mange avant que nous ne soyons toutes rassasiées… Un gentleman de coq, si tu veux mon avis.
Galine : Tais-toi un peu ! Ecoute :
Le nouveau venu se pavane fièrement devant les volailles ébahies. D’une belle voix, il déclame :
Je t'adore, Soleil !
Tu fais tourner les tournesols du presbytère,
Luire le frère d'or que j'ai sur le clocher,
Et quand, par les tilleuls, tu viens avec mystère,
Tu fais bouger des ronds par terre
Si beaux qu'on n'ose plus marcher !*
Mais qu’est-ce qu’il raconte ?
La Gloussote (hilare) : Ah ! Un théâtreux ! C’est le bouquet ! Je crois qu’on va bien s’amuser pendant les longues nuits d’hiver dans le poulailler !
Galine : Tu vois ? Tu es séduite…
La Gloussote (ironique) : Séduite ? Non, je plaisante, car en général les beaux parleurs ne sont pas les meilleurs… les meilleurs… reproducteurs, si tu vois ce que je veux dire.
Galine (impatiente) : Alors qu’est-ce qu’on fait ? On va le saluer ?
La Gloussote (doctement) : TOI, tu fais ce que tu veux, MOI, je vais retrouver Clairon, car rappelle-toi bien ce que je te dis : « c’est avec les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe. » Salut !
*Les vers que déclame le nouveau sont extraits de Chantecler, d'Edmond Rostand