"Je pensais regarder le monde et c'est le monde qui me regarde"
Ce n’est pas arrivé par hasard… comme cà en un jour, sous l’effet d’un coup de baguette magique.
Au commencement « je » n’étais pas.
Rien à voir, rien à regarder dans ce bloc anonyme, dans cette espèce de brute dure et froide surgie d’un ventre volcanique qui, une fois atterri dans une carrière disposait d’un temps à durée indéterminable.
Je n’avais ni forme, ni cœur, ni tête .Complètement enfermé, recroquevillé sur un moi inexistant, j’étais sans vie, sans mort aussi.
Après des millions d’années passées dans les ténèbres, je sortis enfin de l’ombre grâce au souffle et aux mains d’un auguste maître.
C’était il y a plus de 150 ans.
Je fus choisi entre toutes les pierres. Béni est ce jour de ma naissance.
Ce jour là, je devenais au moins quelque chose.
Alors commença un long travail de création.
Le maître travaillait à la sueur de son front, des heures, des jours durant sans ménager ses forces, ses peines et… ses coups de marteau.
J’en ai vu de toutes les couleurs, de toutes les douleurs pour être à la ressemblance de l’image que mon maître voulait faire de moi.
Devenir un penseur n’est pas donné à toutes les pierres de la terre.
Je le sais depuis que j’ai des jambes, des bras, un visage, une âme même pour être celui devant lequel le monde entier se pâme… se prosterne.
Certains, pour vérifier sans doute que je ne suis pas de marbre, ne se contentent pas de me regarder . On me touche, on me flatte, on me caresse, on m’embrasse même alors qu’est écrit partout en grand « il est interdit de toucher ».
Un inconvénient quand même :n'ayant pas le droit de changer de position je souffre souvent beaucoup.
Parfois je maudis la pierre froide sur la quelle je suis assis, j’aimerais qu’elle se casse en mille morceaux.
Mais de quoi aurais je l’air, une fois tombé par terre?
J’aurais l’air de rien du tout. Et ca, je ne veux pas, je ne veux plus.
Je suis pour toujours le penseur de Rodin et je le reste.