Devinez qui vient diner ce soir

Devinez qui vient diner ce soir ?
- Ce soir c’est Noël. Je n’ai rien préparé, se dit la Simone avec tristesse.
Cette année a été une année de misère, comme toutes les autres. Les récoltes et les foins ont pourries avec les pluies de cet été. Les vaches n’ont pas eu beaucoup de lait. Les veaux se sont mal vendus. Les enfants vont encore être déçus. Si ma mère était toujours là, on aurait passé Noël ensemble. Elle aurait tricoté un pull, des chaussettes ou un gilet bien chaud à chacun, pour affronter les durs frimas de l’hiver ! Depuis que les plus grands vont à l’école, il faut les équiper, cela coûte bien cher. S’ils ont perdu leurs illusions, les petits croient encore au père Noël, et il n’y a rien pour leurs petits sabots. Quelle vie que la notre, et quelle épreuve pour une mère, de ne pas pouvoir offrir à ses enfants ne serai-ce qu’une modeste bricole mais qui les satisferait tant !
Seul depuis des années, Jean Pradel n’était attendu par personne. L’été dormant à la belle étoile, l’hiver glanant quelques fagots, il jouissait d’une liberté totale. Mendiant son pain, usant ses nippes et trainant ses guenilles, il passait d’une année à l’autre sans se soucier du lendemain.
En ce 24 décembre, n’ayant plus rien à se mettre sous la dent, il prit son chemin en quête d’une âme généreuse qui lui offrirait un quignon de vieux pain rassi et une tranche de vieux lard ranci.
De gros nuages s’amoncelaient dans le ciel, la neige serait au rendez vous pour Noël. Prenant son courage à deux mains, Jean Pradel enfila sa cape trouée, chaussa ses gros sabots cloutés se coiffa de son vieux chapeau feutré puis muni de son bâton de buis, il se mit en chemin.
Il neigeait à présent.
De l’étable toute proche, se dégageait une bonne odeur de foin séché. Les vaches ruminaient tranquillement, faisant tinter leur chaîne à chaque mouvement. Tout à l’heure, il faudrait les sortir pour qu’elles s’abreuvent, puis viendrait l’heure de la traite.
Comme ce soir c’est Noël, on mangerait après avoir fini le travail, la veillée serait ainsi plus longue, les enfants en profiteraient pour découvrir leur paquet (un malheureux jouet fabriqué dans un vieux bois à chaque heure de répit de la morte saison). Histoire de fêter quand même Noël.
L’épaisse couche de neige entravait la progression de Jean Pradel. Il ne se déplaçait plus que difficilement, à présent, ne distinguant plus son chemin. A plusieurs reprises, il faillit trébucher. La fatigue et la faim aidant, il s’étala dans la fange du fossé. Trempée, sa lourde cape ne le protégeait guère. Il savait que s’il ne se relevait pas, l’engourdissement ne tarderait pas à le gagner. Ce serait la fin d’une longue vie d’errance et de désillusions…
Tout à coup, il sentit quelque chose de chaud sur son visage. Un souffle si proche de son oreille, le fit tressaillir. Il se releva péniblement. C’était Lorette, le bon chien de berger du Raymond. Il ne devait pas être loin de Lossedat. Le chien lui fit fête, et l’attendait, calquant sa marche sur le pas lourd de Jean.
IL faisait nuit, maintenant, dans le ciel, pas une étoile, seule la neige continuait à tomber. Lorette et Jean Pradel cheminaient de concert jusqu’à la grande maison d’où, par la cheminée, une bonne fumée s’échappait. L’odeur d’une soupe aux choux chatouillait les narines. Un fumet délicat embaumait l’intérieur de la demeure.
Trois petits coups grattés à la porte.
- Maman, c’est la Lorette, elle veut rentrer !
- Fais la entrer, les vaches ont fini de boire à présent. Avec cette neige, ce n’est pas un temps à laisser un chien dehors !
- Maman, maman : c’est le pépé Jean !
- Où ça, le pépé Jean ?
- Là dehors, il a froid, c’est la Lorette qui est allé le chercher !
- Hum, fais le vite entrer, lui aussi, bonnes gens !
Les enfants émerveillés accueillaient Pépé Jean.
Vêtu de sec, rassasié d’une bonne soupe bien chaude partagée à la chaleur d’un bon feu, bien callé dans le fauteuil du grand-père, Jean Pradel s’endormit. Les cris des enfants, leur joie et leur agitation ne parvenaient pas jusqu’à lui.
Quand les 12 coups de minuit tintèrent à la grosse horloge, poussant une dernière buche dans la cheminée, les enfants entonnèrent une cantate en l’honneur de Jean Pradel.
Ce fut cette année-là, un Noël inoubliable. Un merveilleux Noël.

Une bien belle histoire, truffée de détails pittoresques, out à fait dans l'esprit de Noël !

Encore une bien belle histoire: simple et à la bonne odeur de terroir.C'est presque un conte finalement

Tu devrais aérer ton texte, cela facilitera la lecture . N'hésite pas à sauter une ligne pour alléger les différentes parties

Tu as raison Admin, c'est mieux. Pour que les prochains lecteurs ne m'en veuillent pas de leur infliger ce supplice, voilà en plus lisible (j'en ai profité pour corriger une faute ou deux)


Devinez qui vient diner ce soir


- Ce soir c’est Noël. Je n’ai rien préparé, se dit la Simone avec tristesse.

Cette année a été une année de misère, comme toutes les autres. Les récoltes et les foins ont pourries avec les pluies de cet été. Les vaches n’ont pas eu beaucoup de lait. Les veaux se sont mal vendus. Les enfants vont encore être déçus. Si ma mère était toujours là, on aurait passé Noël ensemble. Elle aurait tricoté un pull, des chaussettes ou un gilet bien chaud à chacun, pour affronter les durs frimas de l’hiver !

Depuis que les plus grands vont à l’école, il faut les équiper, cela coûte bien cher. S’ils ont perdu leurs illusions, les petits croient encore au père Noël, et il n’y a rien pour leurs petits sabots. Quelle vie que la notre, et quelle épreuve pour une mère, de ne pas pouvoir offrir à ses enfants ne serai-ce qu’une modeste bricole mais qui les satisferait tant !


Seul depuis des années, Jean Pradel n’était attendu par personne. L’été dormant à la belle étoile, l’hiver glanant quelques fagots, il jouissait d’une liberté totale. Mendiant son pain, usant ses nippes et trainant ses guenilles, il passait d’une année à l’autre sans se soucier du lendemain.

En ce 24 décembre, n’ayant plus rien à se mettre sous la dent, il prit son chemin en quête d’une âme généreuse qui lui offrirait un quignon de vieux pain rassi et une tranche de vieux lard ranci.


De gros nuages s’amoncelaient dans le ciel, la neige serait au rendez vous pour Noël. Prenant son courage à deux mains, Jean Pradel enfila sa cape trouée, chaussa ses gros sabots cloutés se coiffa de son vieux chapeau feutré puis muni de son bâton de buis, il se mit en chemin.


Il neigeait à présent.

De l’étable toute proche, se dégageait une bonne odeur de foin séché. Les vaches ruminaient tranquillement, faisant tinter leur chaîne à chaque mouvement. Tout à l’heure, il faudrait les sortir pour qu’elles s’abreuvent, puis viendrait l’heure de la traite.
Comme ce soir c’est Noël, on mangerait après avoir fini le travail.

La veillée serait ainsi plus longue, les enfants en profiteraient pour découvrir leur paquet (un malheureux jouet fabriqué dans un vieux bois à chaque heure de répit de la morte saison). Histoire de fêter quand même Noël.


L’épaisse couche de neige entravait la progression de Jean Pradel. Il ne se déplaçait plus que difficilement, à présent, ne distinguant plus son chemin. A plusieurs reprises, il faillit trébucher. La fatigue et la faim aidant, il s’étala dans la fange du fossé.
Trempée, sa lourde cape ne le protégeait guère. Il savait que s’il ne se relevait pas, l’engourdissement ne tarderait pas à le gagner.
Ce serait la fin d’une longue vie d’errance et de désillusions…


Tout à coup, il sentit quelque chose de chaud sur son visage. Un souffle si proche de son oreille, le fit tressaillir. Il se releva péniblement.
C’était Lorette, le bon chien de berger du Raymond.

Il ne devait pas être loin de Lossedat. Le chien lui fit fête, et l’attendait, calquant sa marche sur le pas lourd de Jean.
IL faisait nuit, maintenant, dans le ciel, pas une étoile, seule la neige continuait à tomber. Lorette et Jean Pradel cheminaient de concert jusqu’à la grande maison d’où, par la cheminée, une bonne fumée s’échappait.
L’odeur d’une soupe aux choux chatouillait les narines. Un fumet délicat embaumait l’intérieur de la demeure.


Trois petits coups grattés à la porte.

- Maman, c’est la Lorette, elle veut rentrer !
- Fais la entrer, les vaches ont fini de boire à présent. Avec cette neige, ce n’est pas un temps à laisser un chien dehors !
- Maman, maman : c’est le pépé Jean !
- Où ça, le pépé Jean ?
- Là dehors, il a froid, c’est la Lorette qui est allé le chercher !
- Hum, fais le vite entrer, lui aussi, bonnes gens !


Les enfants émerveillés accueillaient Pépé Jean.
Vêtu de sec, rassasié d’une bonne soupe bien chaude partagée à la chaleur d’un bon feu, bien callé dans le fauteuil du grand-père, Jean Pradel s’endormit.
Les cris des enfants, leur joie et leur agitation ne parvenaient pas jusqu’à lui.

Quand les 12 coups de minuit tintèrent à la grosse horloge, poussant une dernière buche dans la cheminée, les enfants entonnèrent une cantate en l’honneur de Jean Pradel.

Ce fut cette année-là, un Noël inoubliable. Un merveilleux Noël.

C'est très agréable a lire de fait. merci

Un Noël du temps jadis où les "croquants" qui n'avaient pas grand chose parvenaient tout de même à donner à ceux qui avaient encore moins qu'eux. A méditer pour nos temps de profusion et d'indifférence...

Le plus beau des cadeaux des enfants de ton texte fut sans doute d'accueillir le malheureux Jean, encore plus pauvre et malheureux qu'eux puisque seul.
Je trouve aussi que ton texte ressemble à un conte de Noël, fête d'amour et de partage.

"Le plus beau des cadeaux des enfants de ton texte fut sans doute d'accueillir le malheureux Jean, encore plus pauvre et malheureux qu'eux puisque seul."
a dit Les4vents.

C'était un beau cadeau en effet. Nous étions fiers d'accueillir chaque fois qu'il s'arrêtait à notre porte celui que nous appelions "pépé Jean". Personne ne savait trop qui il était, ni comment sa vie avait vacillé. La rumeur le faisait riche (milliardaire disait-on). Nous ne l'avons connu qu'indigent. Mes parents l'accueillaient chez nous, lui donnant avec plaisir le gite et le couvert. Notre porte lui était ouverte, en dépit des recommandations des voisins qui ne manquaient pas de nous faire remarquer que bien que plus riche que nous tous, il leur volait leurs fromages. Nous n'avons jamais cru ces affabulations. Nous les enfants avons toujours considéré cet homme comme notre grand père. Ayant perdu le notre, il le remplaçait. Je reste persuadée que cet homme était bien plus riche de l'amour qu'il portait que beaucoup d'entre nous.

Jadis, il y avait partout des 'Pépé Jean" dont on pouvait parfois se moquer mais qu'on savait aussi accueillir ...

Aujourd'hui, où l'opulence s'étale, la misère s'étend mais on l'a rendu acceptable par des vocables tels: les surendettés, travailleurs pauvres, chômeurs non indemnisés, sans abri, SDF et on les protège : il y a les restos du coeur, les Associations caritatives et il y a les pôvres comme un certain GD qui aurait payé 145 millions d'euros d'impôts... sans véritablement écorner sa fortune.

P... de société libérale !!!

C'est vrai que c'est une belle histoire, un vrai conte...Et ce d'autant plus que j'ai cru comprendre que c'était une histoire vraie, n'est-ce pas ?

En tous cas, merci pour ce récit, tout-à-fait dans l'esprit de Noël

(et pour en revenir aux détails techniques : j'aime beaucoup mieux la version plus aérée, avec les paragraphes, cela facilite la lecture et la rend plus fluide et agréable:))

Sel à dit :
"j'ai cru comprendre que c'était une histoire vraie, n'est-ce pas ?"

C'est une histoire vraie que j'ai un peu édulcorée, mais je n'ai rien changé aux personnages qui sont restés intacts dans ma mémoire. La solidarité entre nous, les pauvres gens, nous l'avions, dans les campagnes comme dans les villes, pour un Noël de fête, ou pour autre chose. Nous l'avions au quotidien.

Quant à "pépé Jean", dont ma petite soeur se plaisait à dire à qui voulait l'entendre qu'il était SON pépé (" j'en a moi des pépés, disait-elle, j'a le pépé Labaye, j'a le pépé Jean et j'a le Charles !"), il mourut un jour de février 1966, sous, sa toiture complètement écrasée. C'est un voisin inquiet de ne plus le voir, qui le trouva, gisant sous les gravas. Le plancher avait passé dans la cave, emportant Jean avec lui.

De nos jours, comme le dit si bien Cats, il y a les oeuvres caritatives, quoique, la misère se vit toujours cachée, mais bien insuffisantes pour soulager les quelques 9 millions de gens vivant en dessous du seuil de pauvreté !

Belle histoire de Noël, merci de ce partage Escandelia.