l'invité
Contre toute attente, il a répondu à notre invitation pour le réveillon de Noël. Franchement, personne dans la famille n'y croyait. C'est Luc qui avait eu l'idée, comme ça, un soir de novembre, sur le coup de minuit, et il nous en avait parlé. On avait tous bien rigolé, et il avait ajouté :
—« mais je suis tout à fait sérieux ! »
— « Et pourquoi pas après tout, s'exclama Poz, il paraît qu'à Noël, tout est possible, même les miracles. »
Vlad, avec son esprit terre à terre, fit remarquer qu'on ne connaissait même pas son adresse, et il ne voyait pas comment on allait pouvoir se la procurer. C'était évidemment sans compter avec l'ingéniosité de Luc, le plus débrouillard d'entre nous, qui dès le lendemain, par je ne sais quel entregent, s'était procuré la fameuse adresse, plus le téléphone. Il avait même déjà rédigé la lettre, l'avait postée dès le petit jour malgré le frimas pesant, ne craignant même pas de se prendre une bûche.
Alors donc, nous y voilà. C'est le grand jour.
On a mis les petits plats dans les grands. Luc et Vlad ont, comme d'habitude, réussi à se disputer pour composer le menu… Mais est-ce qu'il aimera ceci ? Et si on faisait plutôt cela ? Et patati et patata.
Pour calmer le jeu j'ai mis dans le lecteur un CD de cantates de Bach.
— On lui a dit qu'on l'attendait vers 22 heures.
21 heures 30. L'énervement commence à gagner.
Luc lorgne la grande aiguille de la pendule murale, qui se termine en forme d'étoile.
22 heures ! C'est sûr, il va sonner.
Poz s'est déjà versé un apéritif.
22 heures 30 : c'est sûr, il a dû avoir un ennui en route.
Poz en est à son troisième apéritif.
Luc a bouffé la moitié des cacahouètes.
Vlad commence sérieusement à s'énerver. On sait qu'il peut être violent. Pour le calmer, je lui verse une grande rasade de whisky. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne solution, mais j'ai rien d'autre sous la main.
23 heures : toujours personne.
Je dis à Luc : — « appelle le sur son portable, on va pas comme ça attendre toute la nuit… »
Luc compose le numéro : — « c'est sa messagerie ! »
— « Laisse un message ! » Hurle Poz, qui a déjà pas mal éclusé lui aussi…
Luc : — « allô ? M. Godot… On vous attend M. Godot… »
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Merci à Samuel Beckett pour l'inspiraton…
Poz = Pozzo - Luc = Lucky - Vlad = Vladimir et Estragon le narrateur...