Dès que le Pépé Antonin, entendit ce cri, la panique s’empara de lui.
A toute vitesse (enfin, à petits pas, car son arthrose ne lui permettait guère de se mouvoir comme un coureur grimpant le Ventoux), il rassembla quelques affaires, qu’il chargea sur ses montures en grommelant des mots incompréhensibles dans sa moustache.
Pas question de traîner en ville !
Il prit le chemin de terre connu de lui seul. A la nuit tombante, après une rude montée, il atteignit le sommet de la Calanque la plus haute de Marseille avec Paulo et Paula, son âne et son ânesse.
Arrivé au cabanon, il s’écroula de fatigue, non sans avoir vidé une demi-bouteille de pastis pour étancher une soif que la chaleur du soir n’excusait point.
« Il en tient encore une et une solide ! » soupira Paula en se couchant délicatement sur la paille humide.
« T’inquiète ! » rétorqua Paulo, confortablement blotti à ses côtés. « Il l’a bien mérité son apéro, cette fois ! »
« Oh, mon Paulo, tu es trop bon ! Tu lui passes tout, sous prétexte qu’il est vieux et seul ! »
« Mais, ma belle, cette fois il nous a sauvé la vie ! »
« Sauvé la vie ? Tu exagères, très cher ! Comme tous tes confrères, tu es porté sur deux choses : la reproduction et l’exagération ! Remarque, la reproduction, c’est ton job, en quelque sorte, je m’incline, je me couche…Mais l’exagération, là, je dis, non ! Trop, c’est trop ! »
« Paula, ma belle, de mémoire d’âne, jamais je ne t’ai fait le moindre reproche ! Ton lait d’un goût si délicat est exquis. Les belles dames de Marseille se le disputent aussi pour prendre leur bain. Le vieil Antonin fait fortune rien qu’avec les flacons qu’il vend à prix d’or ! »
« Non, arrête Paulo ! Tu vois bien que tu exagères ! »
« Nenni, ma beauté ! Mais suis donc davantage l’actualité, regarde le JT et tu verras que je n’exagère pas, on veut notre peau ! »
« Peau d’âne ! Quelqu’un l’a trouvée avant toi, celle-là ! »
« Paula, tais-toi donc, on veut notre peau, parce que nous sommes le cheval ( enfin dans notre cas les chevaux) du pauvre. Et crois-moi, le cheval se fait rare, enfin, le vrai, je veux dire ! »
« Mais comment donc ? »
« N’as-tu donc pas entendu parler de l’affaire des lasagnes ? Une firme les vend avec de la viande de cheval dedans ! Au début, les gens ont crié au scandale et puis, l’affaire s’est tassée et ils y ont pris goût.
Du coup, pénurie de chevaux sur le marché. Et suite logique, faute de chevaux, on prend de l’âne !
Que dis-je, on les réquisitionne même sous prétexte que notre cerveau serait moins développé que celui d’autres animaux ! »
« Quelle horreur ! Moins développé ! Quel outrage ! »
« Viens, suis-moi, je vais te faire la démonstration de notre intelligence hors pair ! Montons un peu, il reste un peu de blanc sur la pointe ! »
« Ca glisse, j’ai peur de me casser une patte »
« Allons, fais pas ta chochotte et regarde ! »
« Mais, tu es en train de faire pipi et tu fais un dessin ! »
« Mais non, idiote (oh, pardon , ma chérie, j’avais oublié que tu ne sais pas lire !), j’ai écrit le prénom du fils d’Antonin »
« Luc ? »
« Oui, et maintenant, rappelle-toi la petite Cantate qu’il écoute parfois le soir. Tu te souviens qui l’a écrite ? »
« Bach ! Je ne suis pas complètement idiote, moi, Monsieur qui fait son malin ! »
« Et son prénom, Madame la Femme Savante ? »
« Pfft ! Facile ! Jean-Sébastien ! Mais tu ne vas pas écrire ça quand même ? Si ! Mais tu es têtu comme un…»
« Attention, d’un jet puissant, je m’en vais te l’écrire dans la neige ! Hop, c’est parti ! »
En effet…
Patatra, après « Jean-Séba…. » Paulo se retrouva les quatre pattes en l’air, et sa « plume » endommagée par une glissade brutale sur la pente enneigée.
Laquelle « plume » se retrouva inutilisable pour d’autres fonctions pendant un certain temps…
La morale de cette histoire revient à Paula :
« Il est plus facile d’écrire Luc en faisant pipi dans la neige que Jean-Sébastien Bach »